♣_______Page mise à jour le 12 janvier 2018 vers 07h40 TUC |
Parmi les textes manuscrits d'Émile Zola offerts par la BNF dans la collection Gallica [⇒] se trouve un volume rassemblant les feuillets rédigés par Zola pour préparer l'écriture de L'Assommoir, comprenant des ébauches de chapitres, des notes de lecture, diverses listes ou encore des croquis. Cet ensemble (désigné ici sous le nom de Dossier préparatoire ou, parfois, simplement Dossier ) se compose de plusieurs sections ; la liste ci-dessous indique pour chacune
___le numéro des feuillets - le titre donné par Zola - une brève description du contenu.
contient ⌈ ou ⌊ quand deux chapitres ont été réunis par une accolade | |||||
numéro du chapitre tel qu'annoncé dans ce plan | |||||
date indiquée par Zola pour ce chapitre | |||||
chapitre correspondant du roman et année dans la chronologie définitive (1) | |||||
copie du texte rédigé par Zola ; en jaune, les parties absentes du roman ; en ocre, celles qui apparaissent plus tôt ou plus tard |
I | mai 1850 | Abandon. Scène du lavoir. Retour à la maison. Madame Fauconnier, madame Boche, Adèle Poisson (le quartier le matin) | I | 1850 | |
II | Rencontre de Coupeau et de Gervaise. Chez un marchand de vin / Colombe. Ils se mettent ensemble. Les Lorilleux, intérieur et portrait ; métier. (2) Bazouge rencontré dans l'escalier (le quartier à onze heures.)_______elle ne veut pas de lui. | II | 1850 | ||
III | 29/07 1850 | Le mariage de Coupeau et Gervaise. La politique | III | 1850 | |
IV | 1852 à 54 | Trois premières années du ménage. Naissance d'Anna. Accident de Coupeau. Gervaise le soignant. Les Goujet exposés là. | IV | 1851 … 54 | |
V | 1854 | Une partie quelque part / Foire aux pains d'épices. Rencontre des Goujet ; connaissance, Goujet trouvant Gervaise raisonnable. Les affaires du ménage vont bien. La politique | |||
VI | 1855 | Location de la boutique / la rue / le père Bru. Les Boche ; intérieur et portrait. Les Lorilleux fâchés. Coupeau commence à se débaucher (3) / le café marche, Gervaise un peu gourmande. Courage de Gervaise. Le travail des blanchisseuses. Adèle reparaît. Le propriétaire Marescot. Un charbonnier, de l'autre côté de la porte. Les fournisseurs : chabonnier, /du vin / boulanger. Un mot de Bazouge. | V | 1854 … 57 | |
⌈ | VII | 1858 | Premier épisode des Bijard. La femme Bijard est ouvrière chez Gervaise. Celle-ci inquiète en songeant à Coupeau. | VIb | 1858 |
⌊ | VIII | 1858 | [un seul chapitre] Goujet au travail la forge | VIa | 1857 |
⌈ | IX | 1858 | La fête de Gervaise / bien graduer la chute de Gervaise / Les Lorilleux raccommodés / la rue / Adèle avec son mari. Gervaise ayant glissé un peu. Les Boche. La politique. Bazouge invité. Heureuse encore, pas désir de la mort. Le père Bru | VIIa | 1858 |
⌊ | X | 1859 | Lantier rentre. Tous les personnages mêlés. Coupeau parle de faire son affaire à Lantier. Ils vont chez Colombe. Cope amène Lantier. la maison arrangement | VIIb | |
XI | 1859 et 60 | Lantier installé. L'ouvrier en paletot. / La politique / La boutique mangée. La politique. Les deux hommes chez Colombe. / Les querelles pour madame Coupeau / Anna mauvaise éducation. Goujet amoureux, proposition. Une bordée de Coupeau. Lantier reprend Gervaise qui cède. Là le café concert dans un autre chapitre peut-être. | VIII | 1858 … 60 | |
XII | 1860 | Boutique au pillage. Adèle Poisson bien avec Gervaise et guettant la boutique. Gervaise cherchant à se raccrocher. 2e épisode des Bijard. | IXa | 1861 … 62 | |
XIII | 1861 | Enterrement de madame Coupeau. / La boutique est mangée, sale / Tous les personnages. Mme Lerat, les Lorilleux, etc. La cession de la boutique. Les Boche. Le père Bru. (4) | IXb | 1863 | |
⌈ | XIV | 1862 | Gervaise dans un petit logement / le quartier, le soir (boul.[evard] tel qu'il est) / Bazouge / Premiers temps. Elle s'est remise chez madame Fauconnier. Elle nourrit son mari. Première communion d'Anna. Anna enfant. / Une scène de vote (5) / 2e épisode des Bijard (logement voisin de Gervaise) / Une conversation des femmes sur leurs maris / XV Un 1er hiver dur à passer. Le propriétaire Marescot. Gervaise allant chercher Coupeau au cabaret / chez Colombe / et s'attablant. Un nouveau degré dans la chute. Les tentations de la misère / Mont de piété / Un mot du père Bru / Une coquinerie de Coupeau qui part engager (6)du linge. Coupeau à l'hôpital. | X | 1863 … 65 |
⌊ | XV | 1863 | Une partie de campagne avec les Goujet, ce qui fait du bien à Gervaise. | ||
⌈ | XVI | 1864, 65, 66 | Anna fleuriste / insolente avec ses parents. Gros mots. Rencontre avec une autre société (7) / on accuse Gervaise de coucher avec Gouj / Elle se promène avec la jeunesse. L'atelier de fleuriste. Madame Lerat / (la journée ouvrière, les heures)/ Anna au bal, cherchée par son père | XIa | 1866 … 67 |
⌊ | XVII | 1867 | / Une promenade à la campagne / on cherche à mettre Gervaise à la porte / Lantier chez les Poisson. La boutique d'épicerie qu'il mange. Adèle triomphante (la fessée) / la politique une scène de vote / le sergent de ville / les petites boîtes /. Un dimanche . Le quartier avec le boulevard Ornano. | XIb | 1867 … 69 |
⌈ | XVIII | 1867 | Hiver effroyable / (une seule scène, très large) affreuse / Pas de pain, des dettes partout. / Coupeau a disparu, bordée / Les Lorilleux refuse des pièces de vingt sous. Anna s'est sauvée. Gervaise près de la prostitution, presque poussée par Coupeau / le père Bru mendiant / Elle se soûle comme lui. Goujet la rencontre sur un trottoir. Bazouge, Gervaise le désire. | XIIa XIIb XIIc | janv. 1870 |
⌊ | XIX | 1868 | Troisième épisode des Bijard. Mort de Lalie. | XIIa XIIc | |
XX | 1868 | Le drame. Coupeau, Lantier, Goujet. Les Lorilleux. (8) | |||
⌈ ⌊ | XXI | 1868 | La dernière dégradation de Gervaise / à la fin de la partie de campagne. Sa mort. Le dernier mot à Bazouge. / L'alcoolisme qui commence Ville Evrard (9). | XIII | 1870 |
La présentation du texte [⇒] de L'Assommoir a montré qu'il y avait des différences du manuscrit à l'imprimé, puis d'une édition à l'autre. Il n'est donc pas surprenant de trouver des différences entre les divers états préparatoires du roman – des différences encore plus importantes puisqu'elles peuvent toucher la signification même du roman (alors que les premières ont une portée limitée et sont le plus souvent d'ordre stylistique).
En se fondant pour l'essentiel sur les documents contenus dans ce dossier, on peut distinguer quatre strates :
Comme indiqué précédemment, les deux premiers feuillets correspondent à la strate γ ; mais les quatre-vingt-huit suivants ? C'est un peu plus compliqué parce qu'on y trouve, à partir du chapitre III, deux séries imbriquées l'une dans l'autre : la version γ et la version δ. Passe encore au début (même s'il est un peu surprenant de trouver le chapitre IIIγ après le chapitre IIIδ) ; mais à partir du chapitre VIII, quand les numéros des deux strates ne se correspondent plus, la lecture suivie devient délicate (c'est vrai qu'il y a un critère simple : si madame Poisson s'appelle Adèle, c'est γ ; si elle s'appelle Virginie, c'est δ – mais elle n'est pas présente partout).
Le tableau ci-dessous essaie donc de clarifier les choses :
N° | γ | δ | ω | Dates γ | Dates δ | Commentaires |
4 | I | I | donc 1er mai 1850 | |||
9 | II | II | mai 1850 | |||
11 | III | |||||
14 | III | III | juillet 1850 | |||
15 | IV | 1851 à 1854 / Anna fin avril 51 | ||||
17 | IV | IV | 1851 à 1854 | naissance d'Anna / accident | ||
19 | V | 1854 | Les Goujet / convalescence | |||
21 | V | 1855 / trois ans | ||||
24 | VI | V | 1855 à 1858 | |||
27 | VI | 1858 | ||||
30 | VII | VI | 1858 | |||
31 | VII | plan de table | ||||
37 | VIII | VII | 1858 | repas de fête / envisage l'épilogue | ||
39 | IX | 1859 | retour de Lantier [en dehors de la fête] | |||
40 | VIII | hiver 1858-1859 / hiver 60-61 | ||||
44 | X | VIII | 1859-1860 | Lantier s'installe / Goujet troublé | ||
49 | XI | 1860 | le café-concert et après | |||
51 | IX | 1861 / hiver 1862 | = hiver 1862-1863 | |||
55 | XII | IX | 1860 | Difficultés de Gervaise / Lalie | ||
57 | XIII | 1861 | mort et obsèques de maman Coupeau | |||
58 | X | 1863 février-avril / 64-65 deux hivers / 65 été | ||||
62 | XIV | X | 1862-63 | Les Coupeau au sixième étage | ||
64 | XV | 1863 | Première communion de Nana | |||
65 | XI | 1866 avril / 1867 / 1868 | ||||
70 | XVI | XI | 64-65-66 66-67-68 | Anna fleuriste puis au bal | ||
72 | XVII | 1867 | Gervaise plus bas : lavoir, ménages | |||
74 | XII | hiver de 1869 à 1870 | ||||
78 | XVIII | XII | hiver 68 69 à 70 (b) | errance désespérée de Gervaise | ||
81 | XIX | 1868 | Mort de Lalie | |||
82 83 | XIII | . | Là 3 visites de Gervaise / mort de G. détail de Coupeau à Saint-Anne | |||
85 | XX | — | 1868 | épisode du drame | ||
87 | XXI | XIII | 1869 |
En 1870, Denis Poulot, ancien ouvrier métallurgiste devenu contremaître puis entrepreneur, avait publié un livre dont le titre complet est Question sociale / Le Sublime / ou / le travailleur / comme il est en 1870 et ce qu'il peut être (habituellement désigné comme Le Sublime) consacré à ses anciens compagnons ouvriers, parmi lesquels il veut distinguer le bon grain (les ouvriers vrais) de l'ivraie (les sublimes, appelés ainsi à la suite d'une sorte de quiproquo). Quand il rassemble de la documentation pour préparer L'Assommoir, Zola n'oublie pas de lire cet ouvrage la plume à la main, et prend des notes qui occupent une quinzaine de feuillets. Cette lecture aura été fructueuse puisqu'on retrouve dans L'Assommoir plusieurs emprunts plus ou moins assurés au texte de D. Poulot, et ces emprunts ne sont pas passés inaperçus.
L'occasion était trop belle pour certains de régler leurs comptes avec le romancier ; c'est ainsi qu'on peut lire, dans Misère et remèdes, publié en 1886 par le comte d'Haussonville, ancien député : C'est, au reste, dans le livre de M. Poulot que M. Zola a pris non seulement l'idée de l'Assommoir, mais tous ces termes d'argot qu'il met dans la bouche de ses personnages, et encore tous ces sobriquets qui sont devenus populaires : Mes-Bottes, Bec-Salé, Bibi-la-Grillade. Le Sublime a sur l'Assommoir toute la supériorité de l'original sur la copie, et il y a telle reproduction d'une conversation au cabaret écrite avec une vérité et une verve que M. Zola pourrait envier.
Henri Massis, dans le livre dont on peut trouver le lien plus haut, de façon moins polémique et plus détaillée, a rassemblé quelques-uns de ces emprunts (pages 171 et sqq. de Comment Émile Zola composait ses romans ).
Mais d'autres ont voulu voler au secours du romancier ; ainsi (en 1972 – peut-être pour préparer le centenaire du livre), Pierre Cogny publie-t-il, dans un des Cahiers de l'Association internationale des études françaises dont on peut trouver la reproduction dans la collection Persée à cette adresse [⇒], un article prenant le contre-pied du comte-ex-député où l'on peut lire par exemple (à propos du signe de croix des pochards dont il sera question plus bas) : Où Poulot en eût volontiers rajouté, comme « Poil de Carotte », Zola en supprime par souci de vérité pour conclure que sa qualité d'expression ne doit rien à Poulot.
Et quand ce dernier (dont le livre a pour titre premier, rappelons-le, Question sociale) note II y a beaucoup d'ouvriers vrais et d'ouvriers qui établissent leur femme crémière, épicière, marchande de vins, blanchisseuse. Beaucoup, presque tous réussissent. La paie du compagnon vivifie le commerce, tandis que dans le cas du sublime son parasitisme le mine. P. Cogny l'envoie au piquet en rétorquant :
Il oubliait l'accident, la misère quotidienne, l'aspiration à se sentir exister, si petitement que ce fût. Zola a rétabli la vérité, en dénonçant l'inanité des théories.
Dernier exemple, que Pierre Cogny présente comme tel en écrivant qu'il concerne des rodomontades de sublimes qui narrent leurs exploits pour fabriquer des longerons . Et de citer un passage du Sublime à partir de II y avait c't encloué de Désoudé qui cognait de travers, à chaque coup ça manquait (c) ; je lui dis : Si tu ne veux pas marcher mieux que ça, je te f… dans le baquet de science, n… de D… jusqu'à aussi je lui ai f…u un soufflet à la régalade qu'on lui a vu le derrière (d).
Puis, comparant ce texte avec la description par Zola de Bec-Salé face à Goujet, P. Cogny écrit : Gueule-d'Or l'emporte naturellement sur Bec-Salé, dit Boit-sans-Soif, comme Zola l'emporte sur son modèle (c'est moi qui souligne). Outre que Goujet est toujours appelé la Gueule-d'Or, et jamais Gueule-d'Or, P. Cogny omet de rappeler comment Poulot a introduit son récit, consacré au sénat, lieu de réunion (bien arrosée) des ouvriers : Prenons-le au moment du père Michel et à l'époque où nous (e) y assistions pour la première fois, en 1851.[…] Le personnage qui présidait, au moment de notre visite, était un nommé F……n, grosse culotte, forgeron. Et c'est ce F……n qui raconte cet épisode (comme plusieurs autres avant). Faut-il donc s'extasier devant la supériorité de l'expression de Zola sur celle d'une grosse culotte ?
Bien sûr, pour le fond, on ne peut que suivre Pierre Cogny quand il rappelle
Un autre exemple cité par Henri Massis et allant dans le sens de P. Cogny.
NB- dans ces textes, comme dans les suivants,
Le Sublime, p. 122 le fils de Dieu (g) […] est bien au courant de la politique intérieure et extérieure; pour l'intérieur, les solutions ne manquent pas ; pour l'extérieur, il est encore moins embarrassé. D'abord on reconstitue la Pologne et on crée un grand État scandinave pour museler le despote moscovite ; on fait de la Prusse et de toute l'Allemagne une république allemande ; on réunit sous le nom de république hongroise la Hongrie et toutes les provinces danubiennes, on renvoie les musulmans à La Mecque et le pape à Jérusalem. Quant à l'Angleterre, si elle bouge, on débarque cent mille hommes dans l'Inde et on en fait un État indépendant; ils seront les camionneurs du monde. L'Amérique sera le grand marché universel. | L'Assommoir, p. 485 Cependant, au bout d'un silence, Lantier qui s'ennuyait haussa la voix.[…] — C'est bien simple… Avant tout, je reconstituerais la Pologne, et j'établirais un grand État scandinave, qui tiendrait en respect le géant du Nord… Ensuite, je ferais une république de tous les petits royaumes allemands… Quant à l'Angleterre, elle n'est guère à craindre ; si elle bougeait, j'enverrais cent mille hommes dans l'Inde… Ajoutez que je reconduirais, la crosse dans le dos, le Grand Turc à la Mecque, et le pape à Jérusalem… Hein ? l'Europe serait vite propre. |
Si le lien entre les deux textes est évident, le passage à la première personne et au conditionnel, l'élagage ainsi que diverses reformulations (les musulmans remplacés par le Grand Turc) portent bien l'empreinte de Zola.
La cause est-elle donc entendue ? Pas tout-à-fait.
Après les remous suscités par ses emprunts au Sublime, Zola a répondu aux critiques publiées dans Le Télégraphe par une lettre (que cite Pierre Cogny) dans laquelle il écrit :
II est très vrai que j'ai pris dans le Sublime quelques renseignements. […] Puisque l'occasion se présente, je n'en suis pas moins heureux de le remercier publiquement des mots d'argot que son ouvrage m'a fournis, des noms réels que j'ai pu y choisir et des faits que je me suis permis d'y prendre. Les livres sur les ouvriers sont rares. Celui de M. Denis Poulot est un des plus intéressants que je me sois procurés.
P. Cogny en félicite Zola, dont la rigoureuse honnêteté ne fut jamais en défaut. Mais, dans la partie remplacée ci-dessus par […], Zola se justifie :
vous oubliez de dire que le Sublime n'est pas une œuvre d'imagination, un roman : c'est un livre de documents dont l'auteur cite des mots entendus et des faits vrais. Lui emprunter quelque chose, c'est l'emprunter à la réalité.
Nouvelle ironie du sort : le début de cette explication énonce une vérité qui va à l'encontre des efforts de Pierre Cogny pour prouver la supériorité de Zola sur Poulot en tant qu'écrivain ; mais le plus surprenant est bien sûr la fin, qui revient llus ou moins à priver de droits d'auteur tout journaliste (voire tout historien).
Et puis, il faut bien le dire, la lecture sinon en parallèle, du moins rapprochée, de L'Assommoir et du Sublime fait penser, dans deux cas particuliers au moins, que quelques renseignements ou des mots d'argot sont des litotes :
Le Sublime, p. 98 il fut proclamé empereur des pochards et roi des cochons. Son couronnement a eu lieu, au Là s'il vous plaît, chez Boulanger, traiteur, à la barrière des Vertus. Ce qui avait provoqué ce brillant honneur, c'est qu'Ar……in avait mangé une salade de hannetons vivants et mordu dans un chat crevé. | L'Assommoir, p. 333 Cependant, Mes-Bottes, avec ses souliers éculés, sa blouse noire d'ordures, sa casquette aplatie sur le sommet du crâne, gueulait fort et roulait des yeux de maître dans l'Assommoir. Il venait d'être proclamé empereur des pochards et roi des cochons, pour avoir mangé une salade de hannetons vivants et mordu dans un chat crevé. | |
Le Sublime, p. 122 François la Bouteille était le vrai sublime qui faisait le mieux le signe de la croix des pochards. Sur la tête il prononçait Montpernasse, sur l'épaule droite Ménilmonte, sur la gauche la Courtille, sur le ventre Bagnolet, et sur le creux de l'estomac trois fois Lapin sauté. Les quatre premières invocations étaient dites d'un air béat, les trois coups de Lapin sauté étaient accentués vigoureusement. | L'Assommoir, p. 341 Coupeau se leva pour faire le signe de croix des pochards. Sur la tête il prononça Montpernasse, à l'épaule droite Menilmonte, à l'épaule gauche la Courtille, au milieu du ventre Bagnolet, et dans le creux de l'estomac trois fois Lapin sauté. Alors, le chapelier, […] |
À quoi s'ajoute l'anecdote de l'ouvrier tellement ivre qu'on a pu lui sceller sa pipe dans la bouche avec du plâtre (p. 333) – le tout en moins de dix pages du roman, ce qui renforce l'effet de déjà lu. Pourtant, cette concentration ne manque pas de logique : ce morceau de chapitre est précisément celui où Coupeau croise le sublimisme ; dans les chapitres précédents, il était encore (au moins un peu, ou parfois) un ouvrier ; dans les suivants, il ne sera plus qu'un ivrogne.
Alors, pour conclure, regrettons seulement que les remerciements de Zola à Poulot soient venus plus de deux mois après la sortie de L'Assommoir en livre – pour ne rien dire de la publication en feuilleton ; ils n'auraient sans doute pas nui à la préface ajoutée dès la première édition.