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Oyiwen ed tanemert_______Page mise à jour le 12 janvier 2018 vers 07h40 TUC    

Dans le dossier préparatoire de L'Assommoir


Parmi les textes manuscrits d'Émile Zola offerts par la BNF dans la collection Gallica  [⇒] se trouve un volume rassemblant les feuillets rédigés par Zola pour préparer l'écriture de L'Assommoir, comprenant des ébauches de chapitres, des notes de lecture, diverses listes ou encore des croquis. Cet ensemble (désigné ici sous le nom de Dossier préparatoire ou, parfois, simplement Dossier ) se compose de plusieurs sections ; la liste ci-dessous indique pour chacune
___le numéro des feuillets - le titre donné par Zola - une brève description du contenu.


  1. 1 à 91 - Plan complet -
    ___cette première section se compose elle-même de deux parties très inégales :
    •    2-3   a deux feuillets contenant le sommaire des vingt-et-un chapitres prévus dans la version γ ;
    ___a c'est leur transcription qui figure dans le tableau constituant l'essentiel de cette page ;
    •    4… 91   a une suite de guides pour chaque chapitre, mêlant résumé (Alors Gervaise va faire un savonnage ),
    ______axes de travail (un mot de la rue, pas plus / la description plus tard )
    ______et bribes de texte (« Eh bien ! Et papa ? » Il est parti avec une voiture ).
    ___a L'annexe I détaille cette partie du dossier.
  2. 93 à 100 - L'alcoolisme - notes de lecture d'ouvrages médicaux ;
  3. 101 à 117 - Le quartier, les rues, les cabarets et les bals -
    ___on y trouve notamment le plan de la grande maison et celui des rues du quartier de la Goutte-d'Or ;
  4. 118 à 139 - Personnages - présentation et caractérisation ;
  5. 140 à 156 - Notes prises dans le Sublime - cette section est évoquée dans l'Annexe II ;
  6. 157 à 174 - Ebauche - ces pages (qui sont bien sûr antérieures au Plan complet) ne distinguent pas de chapitres ;
    ___à ce moment-là, le roman devait encore s'appeler La simple vie de Gervaise Coupeau (ou de Gervaise Macquart) ;
  7. 175 à 191 - Métiers - quelques pages consacrées successivement aux laveuses et repasseuses, aux couvreurs,
    ___aux chaînistes et aux boulonniers ;
  8. 192 à 217 - Renseignements divers - on y trouve plusieurs listes (dont certaines avec des éléments biffés,
    ___peut-être au fur et à mesure de leur emploi dans le roman) et quelques documents particuliers :
    •  le plan d'une boutique de blanchisseuse (plus petite que celle de Gervaise),
    •  des indications (sur un seul feuillet) pour un Roman ouvrier (le roman aux Batignolles),
    •  un article (découpé dans un journal) qui est à l'origine des personnages de Bijard et Lalie « la petite mère » ;
  9. 218 à 234 - Plan - il s'agit d'une ébauche de La Faute de l'abbé Mouret, roman antérieur de deux ans à L'Assommoir.

NB1- Pour trouver le numéro de page dans le fichier .pdf, il faut multiplier le numéro du feuillet par deux puis ajouter neuf.
NB2- En plus du lien mentionné plus haut, on peut trouver deux versions particulières de ces documents :

Sommaire des chapitres dans la version γ


      
   contient ou quand deux chapitres ont été réunis par une accolade
    numéro du chapitre tel qu'annoncé dans ce plan
     date indiquée par Zola pour ce chapitre
   chapitre correspondant du roman et année dans la chronologie définitive (1)   
      copie du texte rédigé par Zola ; en jaune, les parties absentes du roman ;
en ocre, celles qui apparaissent plus tôt ou plus tard
 
      
 Imai 1850 Abandon. Scène du lavoir. Retour à la maison. Madame Fauconnier, madame Boche,
Adèle Poisson (le quartier le matin)
I1850
 II  Rencontre de Coupeau et de Gervaise. Chez un marchand de vin / Colombe.
Ils se mettent ensemble. Les Lorilleux, intérieur et portrait ; métier. (2)  Bazouge
rencontré
dans l'escalier (le quartier à onze heures.)_______elle ne veut pas de lui.
II1850
 III29/07 1850 Le mariage de Coupeau et Gervaise. La politiqueIII1850
 IV1852
à 54
 Trois premières années du ménage. Naissance d'Anna. Accident de Coupeau.
Gervaise le soignant. Les Goujet exposés là.
IV1851 … 54
 V1854Une partie quelque part / Foire aux pains d'épices. Rencontre des Goujet ; connaissance,
Goujet trouvant Gervaise raisonnable. Les affaires du ménage vont bien. La politique
 VI1855 Location de la boutique / la rue / le père Bru. Les Boche ; intérieur et portrait.
Les Lorilleux fâchés. Coupeau commence à se débaucher (3) / le café marche, Gervaise un peu gourmande. Courage de Gervaise. Le travail des blanchisseuses. Adèle reparaît. Le propriétaire Marescot. Un charbonnier, de l'autre côté de la porte. Les fournisseurs : chabonnier, /du vin / boulanger. Un mot de Bazouge.
V1854 … 57
VII1858 Premier épisode des Bijard. La femme Bijard est ouvrière chez Gervaise. Celle-ci inquiète en songeant à Coupeau.VIb1858
 
VIII
 
1858
 [un seul chapitre]
 Goujet au travail la forge
 
VIa
 
1857
IX1858 La fête de Gervaise / bien graduer la chute de Gervaise / Les Lorilleux raccommodés / la rue / Adèle avec son mari. Gervaise ayant glissé un peu. Les Boche. La politique. Bazouge invité. Heureuse encore, pas désir de la mort. Le père BruVIIa1858
X1859 Lantier rentre. Tous les personnages mêlés. Coupeau parle de faire son affaire à Lantier. Ils vont chez Colombe. Cope amène Lantier. la maison arrangementVIIb
 XI1859
et 60
 Lantier installé. L'ouvrier en paletot. / La politique / La boutique mangée. La politique. Les deux hommes chez Colombe. / Les querelles pour madame Coupeau /
Anna mauvaise éducation. Goujet amoureux, proposition. Une bordée de Coupeau. Lantier reprend Gervaise qui cède. Là le café concert dans un autre chapitre peut-être.
VIII1858 … 60
 XII1860 Boutique au pillage. Adèle Poisson bien avec Gervaise et guettant la boutique. Gervaise cherchant à se raccrocher. 2e épisode des Bijard.IXa1861 … 62
 XIII1861 Enterrement de madame Coupeau. / La boutique est mangée, sale / Tous les personnages. Mme Lerat, les Lorilleux, etc. La cession de la boutique. Les Boche.
Le père Bru. (4)
IXb1863
XIV1862 Gervaise dans un petit logement / le quartier, le soir (boul.[evard]  tel qu'il est) / Bazouge / Premiers temps. Elle s'est remise chez madame Fauconnier. Elle nourrit son mari. Première communion d'Anna. Anna enfant. / Une scène de vote (5) / 2e épisode des Bijard (logement voisin de Gervaise) / Une conversation des femmes sur leurs maris /
 XV  Un 1er hiver dur à passer. Le propriétaire Marescot. Gervaise allant chercher Coupeau au cabaret / chez Colombe / et s'attablant. Un nouveau degré dans la chute. Les tentations de la misère / Mont de piété / Un mot du père Bru / Une coquinerie de Coupeau qui part engager (6)du linge. Coupeau à l'hôpital.
X1863 … 65
XV1863 Une partie de campagne avec les Goujet, ce qui fait du bien à Gervaise.  
XVI1864, 65, 66 Anna fleuriste / insolente avec ses parents. Gros mots. Rencontre avec une autre société (7) / on accuse Gervaise de coucher avec Gouj / Elle se promène avec la jeunesse. L'atelier de fleuriste. Madame Lerat / (la journée ouvrière, les heures)/ Anna au bal, cherchée par son pèreXIa1866 … 67
XVII1867 / Une promenade à la campagne / on cherche à mettre Gervaise à la porte / Lantier chez les Poisson. La boutique d'épicerie qu'il mange. Adèle triomphante (la fessée) /
la politique une scène de vote / le sergent de ville / les petites boîtes /. Un dimanche . Le quartier avec le boulevard Ornano.
XIb1867 … 69
XVIII1867 Hiver effroyable / (une seule scène, très large) affreuse / Pas de pain, des dettes partout. / Coupeau a disparu, bordée / Les Lorilleux refuse des pièces de vingt sous. Anna s'est sauvée.
Gervaise près de la prostitution, presque poussée par Coupeau / le père Bru mendiant / Elle se soûle comme lui. Goujet la rencontre sur un trottoir.
Bazouge, Gervaise le désire.
XIIa
 
 
XIIb
 
XIIc
 janv. 1870
XIX1868 Troisième épisode des Bijard.
Mort de Lalie.
XIIa
XIIc
 XX1868 Le drame. Coupeau, Lantier, Goujet. Les Lorilleux. (8)  

XXI1868 La dernière dégradation de Gervaise / à la fin de la partie de campagne. Sa mort.
Le dernier mot à Bazouge. / L'alcoolisme qui commence Ville Evrard (9).
XIII1870

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Notes ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

NB à propos des notes : la rédaction de cette page (transposition du manuscrit et rédaction des notes) était terminée quand j'ai trouvé la transcription du texte de Zola sur le site de la BNF, dans la collection des Brouillons d'écrivains ; du coup, certaines notes pourront paraître un peu naïves, mais quod scriptum est scriptum est ; les deux seules divergences sont signalées dans les notes (2) et (6).
(1)  Il s'agit de l'année dans la chronologie interne aussi bien que de celle notée dans les guides de la version δ, puisque les deux concordent.
(2)  Lecture probable mais difficile ; puis, ajouté sous Bazouge (en fin de ligne) elle ne veut pas de lui.
NB- dans la transcription des Brouillons d'écrivains, cette dernière phrase est rapportée à Coupeau ; c'est exact, dans le roman ; mais cela ne va guère avec Ils se mettent ensemble et ne correspond pas à la disposition des phrases dans le manuscrit.
(3)  Fin de mot incertaine.
(4)  Il se peut que la mention du père Bru soit à rattacher à Tous les personnages. Mais dans tous les cas, le père Bru est absent du chapitre IX.
(5)  Il y a eu des élections législatives en juin et juillet 1863.
(6)  Lecture incertaine. La transcription des Brouillons d'écrivains lit le premier verbe comme étant veut mais la première lettre semble assez clairement un p.
(7)  Lecture difficile.
(8)  Dans l'Ébauche (antérieure à ce Plan  ), on peut lire : Ainsi, il pourrait y avoir une bataille entre Lantier, Coupeau et Goujet, poussés les uns contre les autres par les autres personnages. ; et dans le détail du chapitre XX qui développe ce résumé, Zola imagine que Gervaise, toujours amoureuse de Lantier et jalouse d'Adèle/Virginie, essaie de les asperger de vitriol (et pas celui du père Colombe) mais manque son coup. Alors Lantier sort, la prend par les cheveux, la traîne. Mais Goujet paraît. Il y a une bataille à coups de couteau ou avec des armes différentes. Ailleurs, il est question de duel formidable […] dans la cour, les portes fermées, avec des armes différentes et terribles. Et Lorilleux n'est pas en reste, puisqu'il donne à Gervaise étendue et râlant […] un coup de pied sournois. « Tiens ! garce ! » Comme on le voit, l'auteur a choisi finalement un épilogue beaucoup plus sobre – annoncé dans le feuillet 86 par une mention ajoutée en tête de chapitre et soulignée deux fois : Non pas de drame.
(9)  L'asile de Ville Évrard, à Neuilly-sur-Marne, complète la liste de Sainte-Anne, Bicêtre ou Charenton, évoqués dans le roman.

Annexe I : détail du Plan complet

La présentation du texte  [⇒] de L'Assommoir a montré qu'il y avait des différences du manuscrit à l'imprimé, puis d'une édition à l'autre. Il n'est donc pas surprenant de trouver des différences entre les divers états préparatoires du roman – des différences encore plus importantes puisqu'elles peuvent toucher la signification même du roman (alors que les premières ont une portée limitée et sont le plus souvent d'ordre stylistique).

En se fondant pour l'essentiel sur les documents contenus dans ce dossier, on peut distinguer quatre strates :


Comme indiqué précédemment, les deux premiers feuillets correspondent à la strate γ ; mais les quatre-vingt-huit suivants ? C'est un peu plus compliqué parce qu'on y trouve, à partir du chapitre III, deux séries imbriquées l'une dans l'autre : la version γ et la version δ. Passe encore au début (même s'il est un peu surprenant de trouver le chapitre IIIγ après le chapitre IIIδ) ; mais à partir du chapitre VIII, quand les numéros des deux strates ne se correspondent plus, la lecture suivie devient délicate (c'est vrai qu'il y a un critère simple : si madame Poisson s'appelle Adèle, c'est γ ; si elle s'appelle Virginie, c'est δ – mais elle n'est pas présente partout).

Le tableau ci-dessous essaie donc de clarifier les choses :


γδω    Dates γ    Dates δ   Commentaires
4  I Idonc 1er mai 1850  
9  II IImai 1850  
11  III    
14  III IIIjuillet 1850  
15  IV  1851 à 1854 / Anna fin avril 51
17  IV IV1851 à 1854   naissance d'Anna / accident
19  V 1854   Les Goujet / convalescence
21  V  1855 / trois ans 
24  VI V1855 à 1858  
27  VI  1858 
30  VII VI1858  
31  VII   plan de table
37  VIII VII1858 repas de fête / envisage l'épilogue
39  IX 1859 retour de Lantier [en dehors de la fête]
40  VIII  hiver 1858-1859 / hiver 60-61
44  X VIII1859-1860   Lantier s'installe / Goujet troublé
49  XI 1860   le café-concert et après
51  IX  1861 / hiver 1862= hiver 1862-1863
55  XII IX1860   Difficultés de Gervaise / Lalie
57  XIII 1861   mort et obsèques de maman Coupeau
58  X  1863 février-avril / 64-65 deux hivers / 65 été
62  XIV X1862-63   Les Coupeau au sixième étage
64  XV 1863   Première communion de Nana
65  XI  1866 avril / 1867 / 1868 
70  XVI XI64-65-66 66-67-68    Anna fleuriste puis au bal
72  XVII 1867   Gervaise plus bas : lavoir, ménages
74  XII  hiver de 1869 à 1870 
78  XVIII XIIhiver 68 69 à 70  (b)   errance désespérée de Gervaise
81  XIX 1868   Mort de Lalie
82  
83  
XIII  .Là 3 visites de Gervaise / mort de G.
détail de Coupeau à Saint-Anne
85  XX 1868 épisode du drame
87  XXI XIII1869  

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Notes ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

(a)  On peut considérer que Germinal  a hérité de plusieurs des éléments abandonnés :
(b)  Ainsi, avant même de rédiger une dernière version des ces guides, Zola avait-il modifié la chronologie (restée inchangée dans le sommaire) et repoussé l'errance désespérée de Gervaise à l'hiver 69-70, ce qui place ces heures tragiques en janvier 1870 – date confirmée par le guide du chapitre XII δ (voir cet extrait du feuillet  [⇒]).

Annexe II : Notes prises dans le Sublime

En 1870, Denis Poulot, ancien ouvrier métallurgiste devenu contremaître puis entrepreneur, avait publié un livre dont le titre complet est Question sociale / Le Sublime / ou / le travailleur / comme il est en 1870 et ce qu'il peut être (habituellement désigné comme Le Sublime) consacré à ses anciens compagnons ouvriers, parmi lesquels il veut distinguer le bon grain (les ouvriers vrais) de l'ivraie (les sublimes, appelés ainsi à la suite d'une sorte de quiproquo). Quand il rassemble de la documentation pour préparer L'Assommoir, Zola n'oublie pas de lire cet ouvrage la plume à la main, et prend des notes qui occupent une quinzaine de feuillets. Cette lecture aura été fructueuse puisqu'on retrouve dans L'Assommoir plusieurs emprunts plus ou moins assurés au texte de D. Poulot, et ces emprunts ne sont pas passés inaperçus.

L'occasion était trop belle pour certains de régler leurs comptes avec le romancier ; c'est ainsi qu'on peut lire, dans Misère et remèdes, publié en 1886 par le comte d'Haussonville, ancien député : C'est, au reste, dans le livre de M. Poulot que M. Zola a pris non seulement l'idée de l'Assommoir, mais tous ces termes d'argot qu'il met dans la bouche de ses personnages, et encore tous ces sobriquets qui sont devenus populaires : Mes-Bottes, Bec-Salé, Bibi-la-Grillade. Le Sublime a sur l'Assommoir toute la supériorité de l'original sur la copie, et il y a telle reproduction d'une conversation au cabaret écrite avec une vérité et une verve que M. Zola pourrait envier.

Henri Massis, dans le livre dont on peut trouver le lien plus haut, de façon moins polémique et plus détaillée, a rassemblé quelques-uns de ces emprunts (pages 171 et sqq. de Comment Émile Zola composait ses romans ).

Mais d'autres ont voulu voler au secours du romancier ; ainsi (en 1972 – peut-être pour préparer le centenaire du livre), Pierre Cogny publie-t-il, dans un des Cahiers de l'Association internationale des études françaises dont on peut trouver la reproduction dans la collection Persée  à cette adresse  [⇒], un article prenant le contre-pied du comte-ex-député où l'on peut lire par exemple (à propos du signe de croix des pochards dont il sera question plus bas) : Où Poulot en eût volontiers rajouté, comme « Poil de Carotte », Zola en supprime par souci de vérité pour conclure que sa qualité d'expression ne doit rien à Poulot.

Et quand ce dernier (dont le livre a pour titre premier, rappelons-le, Question sociale) note II y a beaucoup d'ouvriers vrais et d'ouvriers qui établissent leur femme crémière, épicière, marchande de vins, blanchisseuse. Beaucoup, presque tous réussissent. La paie du compagnon vivifie le commerce, tandis que dans le cas du sublime son parasitisme le mine. P. Cogny l'envoie au piquet en rétorquant :
Il oubliait l'accident, la misère quotidienne, l'aspiration à se sentir exister, si petitement que ce fût. Zola a rétabli la vérité, en dénonçant l'inanité des théories.

Dernier exemple, que Pierre Cogny présente comme tel en écrivant qu'il concerne des rodomontades de sublimes qui narrent leurs exploits pour fabriquer des longerons . Et de citer un passage du Sublime à partir de II y avait c't encloué de Désoudé qui cognait de travers, à chaque coup ça manquait  (c) ; je lui dis : Si tu ne veux pas marcher mieux que ça, je te f… dans le baquet de science, n… de D… jusqu'à aussi je lui ai f…u un soufflet à la régalade qu'on lui a vu le derrière (d).

Puis, comparant ce texte avec la description par Zola de Bec-Salé face à Goujet, P. Cogny écrit : Gueule-d'Or l'emporte naturellement sur Bec-Salé, dit Boit-sans-Soif, comme Zola l'emporte sur son modèle (c'est moi qui souligne). Outre que Goujet est toujours appelé la Gueule-d'Or, et jamais Gueule-d'Or, P. Cogny omet de rappeler comment Poulot a introduit son récit, consacré au sénat, lieu de réunion (bien arrosée) des ouvriers : Prenons-le au moment du père Michel et à l'époque où nous (e) y assistions pour la première fois, en 1851.[…] Le personnage qui présidait, au moment de notre visite, était un nommé F……n, grosse culotte, forgeron. Et c'est ce F……n qui raconte cet épisode (comme plusieurs autres avant). Faut-il donc s'extasier devant la supériorité de l'expression de Zola sur celle d'une grosse culotte ?

Bien sûr, pour le fond, on ne peut que suivre Pierre Cogny quand il rappelle

Un autre exemple cité par Henri Massis et allant dans le sens de P. Cogny.
NB- dans ces textes, comme dans les suivants,


Le Sublime, p. 122

le fils de Dieu (g) […] est bien au courant de la politique intérieure et extérieure; pour l'intérieur, les solutions ne manquent pas ; pour l'extérieur, il est encore moins embarrassé. D'abord on reconstitue la Pologne et on crée un grand État scandinave pour museler le despote moscovite ; on fait de la Prusse et de toute l'Allemagne une république allemande ; on réunit sous le nom de république hongroise la Hongrie et toutes les provinces danubiennes, on renvoie les musulmans à La Mecque et le pape à Jérusalem. Quant à l'Angleterre, si elle bouge, on débarque cent mille hommes dans l'Inde et on en fait un État indépendant; ils seront les camionneurs du monde. L'Amérique sera le grand marché universel.

 L'Assommoir, p. 485
 
Cependant, au bout d'un silence, Lantier qui s'ennuyait haussa la voix.[…]
— C'est bien simple… Avant tout, je reconstituerais la Pologne, et j'établirais un grand État scandinave, qui tiendrait en respect le géant du Nord… Ensuite, je ferais une république de tous les petits royaumes allemands… Quant à l'Angleterre, elle n'est guère à craindre ; si elle bougeait, j'enverrais cent mille hommes dans l'Inde… Ajoutez que je reconduirais, la crosse dans le dos, le Grand Turc à la Mecque, et le pape à Jérusalem… Hein ? l'Europe serait vite propre.

Si le lien entre les deux textes est évident, le passage à la première personne et au conditionnel, l'élagage ainsi que diverses reformulations (les musulmans remplacés par le Grand Turc) portent bien l'empreinte de Zola.


La cause est-elle donc entendue ? Pas tout-à-fait.

Après les remous suscités par ses emprunts au Sublime, Zola a répondu aux critiques publiées dans Le Télégraphe par une lettre (que cite Pierre Cogny) dans laquelle il écrit :

II est très vrai que j'ai pris dans le Sublime quelques renseignements. […] Puisque l'occasion se présente, je n'en suis pas moins heureux de le remercier publiquement des mots d'argot que son ouvrage m'a fournis, des noms réels que j'ai pu y choisir et des faits que je me suis permis d'y prendre. Les livres sur les ouvriers sont rares. Celui de M. Denis Poulot est un des plus intéressants que je me sois procurés.

P. Cogny en félicite Zola, dont la rigoureuse honnêteté ne fut jamais en défaut. Mais, dans la partie remplacée ci-dessus par […], Zola se justifie :

vous oubliez de dire que le Sublime n'est pas une œuvre d'imagination, un roman : c'est un livre de documents dont l'auteur cite des mots entendus et des faits vrais. Lui emprunter quelque chose, c'est l'emprunter à la réalité.

Nouvelle ironie du sort : le début de cette explication énonce une vérité qui va à l'encontre des efforts de Pierre Cogny pour prouver la supériorité de Zola sur Poulot en tant qu'écrivain ; mais le plus surprenant est bien sûr la fin, qui revient llus ou moins à priver de droits d'auteur tout journaliste (voire tout historien).

Et puis, il faut bien le dire, la lecture sinon en parallèle, du moins rapprochée, de L'Assommoir et du Sublime fait penser, dans deux cas particuliers au moins, que quelques renseignements ou des mots d'argot sont des litotes :

  1. les surnoms : Cogny cite toute la liste de sobriquets fournie par Poulot (aux pages 154 à 156 du Sublime, sous le titre de Galerie des célébrités de la mécanique) en louant Zola de s'être tenu dans les strictes limites de l'indispensable ; c'est ce à quoi Zola fait allusion quand il remercie Poulot des noms réels qu'il lui a fournis ; et en effet, sur les soixante-et-un surnoms rassemblés par Poulot, Zola n'en a pris que cinq : Bec-Salé dit Boit-sans-soif, Bibi-la-Grillade, Mes-Bottes, la Gueule-d'Or et Pied-de-Céleri, auxquels s'ajoute Cadet-Cassis (qui ne fait pas partie de la liste mais est mentionné par Poulot dans une note) ; cependant, tout est affaire de point de vue : s'ils ne sont que six et représentent moins de dix pour cent de la liste du Sublime, ces sobriquets forment cent pour cent de ceux qui apparaissent dans L'Assommoir  ;
  2. restent deux passages, qu'il suffit de mettre en parallèle (les deux sont cités par Henri Massis, seul le deuxième est repris par Pierre Cogny) :

    Le Sublime, p. 98

    il fut proclamé empereur des pochards et roi des cochons. Son couronnement a eu lieu, au Là s'il vous plaît, chez Boulanger, traiteur, à la barrière des Vertus. Ce qui avait provoqué ce brillant honneur, c'est qu'Ar……in avait mangé une salade de hannetons vivants et mordu dans un chat crevé.
     
     L'Assommoir, p. 333

    Cependant, Mes-Bottes, avec ses souliers éculés, sa blouse noire d'ordures, sa casquette aplatie sur le sommet du crâne, gueulait fort et roulait des yeux de maître dans l'Assommoir. Il venait d'être proclamé empereur des pochards et roi des cochons, pour avoir mangé une salade de hannetons vivants et mordu dans un chat crevé.
    Le Sublime, p. 122

    François la Bouteille était le vrai sublime qui faisait le mieux le signe de la croix des pochards. Sur la tête il prononçait Montpernasse, sur l'épaule droite Ménilmonte, sur la gauche la Courtille, sur le ventre Bagnolet, et sur le creux de l'estomac trois fois Lapin sauté. Les quatre premières invocations étaient dites d'un air béat, les trois coups de Lapin sauté étaient accentués vigoureusement.

     L'Assommoir, p. 341


    Coupeau se leva pour faire le signe de croix des pochards. Sur la tête il prononça Montpernasse, à l'épaule droite Menilmonte, à l'épaule gauche la Courtille, au milieu du ventre Bagnolet, et dans le creux de l'estomac trois fois Lapin sauté. Alors, le chapelier, […]

    À quoi s'ajoute l'anecdote de l'ouvrier tellement ivre qu'on a pu lui sceller sa pipe dans la bouche avec du plâtre (p. 333) – le tout en moins de dix pages du roman, ce qui renforce l'effet de déjà lu. Pourtant, cette concentration ne manque pas de logique : ce morceau de chapitre est précisément celui où Coupeau croise le sublimisme ; dans les chapitres précédents, il était encore (au moins un peu, ou parfois) un ouvrier ; dans les suivants, il ne sera plus qu'un ivrogne.


Alors, pour conclure, regrettons seulement que les remerciements de Zola à Poulot soient venus plus de deux mois après la sortie de L'Assommoir en livre – pour ne rien dire de la publication en feuilleton ; ils n'auraient sans doute pas nui à la préface ajoutée dès la première édition.


~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Notes ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

(c)  Le texte original a marquait, et non manquait.
(d)  Ironie du sort, Zola ne s'éloignera guère de son modèle en écrivant, au chapitre X, que Bibi-la-Grillade vidait son litre en lui fichant un tel baiser à la régalade, qu'on lui voyait le derrière, après avoir noté la phrase initiale dans le feuillet 149.
(e)  Il s'agit d'un pluriel de modestie, Poulot racontant sa première fois.
(f)  Mot abrégé, difficile à interpréter.
(g)  Catégorie intermédiaire entre le vrai sublime  et le sublime des sublimes.

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