♣_______Page mise à jour le 15 mars 2018 vers 05h00 TUC |
Les internautes passant par ce site sont assurément rares, mais n'en sont pas moins sagaces et avides de savoir ; d'où cette question :
— Quelle est la langue qui apparaît dans les copies d'écran et les commentaires d'Accro pour MSTS ?
— Le babëlien, tout bonnement.
— Et où parle-t-on le babëlien ?
— À question logique, réponse logique : à Babël.
— Ouais, mais où c'que c'est, Babël ?
Même si la question a perdu de son élégance stylistique, répondons clairement : à l'heure actuelle, en deux endroits de mon disque dur :
Cela dit, il est difficile de savoir s'il s'agit d'un même peuple habitant deux endroits différents (comme les Kel Tamajaq entre Algérie, Niger et Mali) ou bien d'un seul et même endroit pensé, imaginé, voire rêvé différemment selon l'heure ou le jour ; ce qui, au reste, n'a guère d'importance, puisque de toutes façons la langue (dont il sera question ici, au moins pour commencer) reste la même.
Une précision linguistique, avant de commencer : le terme par lequel se désignent celles & ceux qui habitent le Gouvernat est BABËLEK ; par morne habitude, nous continuerons à appeler babëlien leur idiome (malgré les risques de confusion avec, par exemple, le néo-babélien que Raymond Queneau prête à la Canadienne et à son nomade au début des Fleurs bleues) ; mais, pour le reste, nous emploierons le mot Babëlèque - la suite montrera que ce n'est pas sans raisons.
Des Babëlèques nous découvrirons donc successivement…
L'alphabet comprend vingt lettres : transcription dans l'alphabet latin trivial a a a |
Ñ | correspond un peu au ng de wing en anglais, ou mieux au ɲ de taɲata à Rapa-Nui ; NB1- les hommes utilisent généralement la forme q, les femmes,w ; e se rencontre aussi. NB2- c'est la seule occasion pour les Babëlèques de distinguer linguistiquement hommes et femmes, puisque la notion de genre grammatical est inconnue (comme on en verra plusieurs aspects plus loin) ; d'ailleurs, personne n'accorde beaucoup d'importance à la chose. Mais qu'en est-il des textes officiels et des inscriptions sur les bâtiments publics ? C'est à chaque fois l'occasion d'une petite fête bien sympathique, où les plus jeunes tirent au sort laquelle des trois graphies sera utilisée pour la circonstance. | |
’ | uniquement à l'initiale d'un mot ou dans quelques composés ; ressemble au bruit qui faisait dire à ma mère, quand j'étais enfant : « arrête donc de faire la pintade ! » ; dans toute langue, certaines consonnes sont labiales ou dentales, occlusives ou fricatives ; ' est une consonne gloussée. |
En babëlien, le pluriel commence à trois (en effet les deux font la paire et la paire, y en a pas deux ).
De toutes façons, comme le pluriel se marque par la mutation de la voyelle finale (ce qui oblige à rajouter un son à l'oral et divers traits à l'écrit), les Babëlèques ne l'emploient que quand ils ne peuvent pas faire autrement ; si le nom est accompagné d'un article, d'un adjectif numéral ou bien si n'importe quel autre élément écarte tout risque d'équivoque, on reste au singulier ; seuls les plus aisés s'offrent le pluriel à volonté.
On dispose d'un stock honnête : |
Ainsi a-t-on traduit (sans les empoignades qu'on verra plus bas) Bel exemple de l'esprit babëlèque : cette même expression a servi de titre à un document-vérité (nettement moins connu que l'œuvre de Mirbeau) appelé en français Le quotidien du gardien d'immeuble. |
Voir les paragraphes consacrés aux chiffres, plus bas.
Dans trois des principaux emplois de la préposition française de, le babëlien double la consonne initiale du nom ;
c'est ainsi qu'il introduit :
sg | sujet | complément & possessif | pl | sujet | complément & possessif | |
1 | -IU | -IEU | 1 | -IÜ | -IEÜ | |
2 | -SUT | -ESUT | 2 | -SÜT | -ESÜT | |
3 | -A | -EKA | 3 | -Ä | -EKÄ |
NB- formes irrégulières pour | être : kKUSUT / kKUSÜT |
s'arrêter : tTUP / tTÜP |
actif | passif | |||||
présent | -AL | KUMIAAL | défendant | -UL | KUMIAUL | étant défendues |
passé | KTE–AL | KTEKUMIAAL | ayant défendu | KTE–UL | KTEKUMIAUL | [ayant été] défendues |
On emploie TUP placé devant l'élément à nier :
TUP KANUAIÜ - nous ne travaillons pas /// 'ULAIU TUP bBABËL - je viens d'ailleurs que de Babël.
NB- la négation peut être répétée après le mot, pour plus d'expressivité : TUP 'ULASÜT TUP - ne venez surtout pas.
Loin de nous la prétention de marcher sur les brisées des Éphémères ou de chercher à concurrencer LULUBEL, l'équivalent de notre Petit Robert (le redoublement de la première syllabe permet de former un diminutif) ; mais quelques mots ou éléments de langage peuvent mériter l'attention.
Plus sérieusement, notons que Herr Bach est salué comme BÄ TUK, à ne pas confondre avec son paronyme hongrois BÄTUK TUK
.En sens inverse, le nom ÑAEL laisse souvent perplexe qui doit traduire du babëlien en français (ou dans quelque autre langue plus ou moins proche) ; en effet, formé sur le verbe ÑAI (étymologiquement aider une fleur à s'épanouir ), ce nom désigne selon les circonstances a a a |
On voit immédiatement combien de débats, de disputes, ou même de drames ce mot a épargné aux Babëlèques, et quelle concision il leur permet : Honore tes père et mère ba''A ÑAEL (avec ÑAEL au singulier, puisqu'ils et/ou elles ne sont jamais plus de deux, du moins dans les cas de figure les plus simples).
Pour en revenir à la traduction, quand on rencontre tTELEFONASUT ÑAEL, on peut toujours s'en sortir par quelque Téléphone à ton père ou à ta mère ou encore Contacte tes parents. Mais quand l'un des plus grands romanciers babëlèques commence l'une de ses œuvres majeures par SIKITANU, ÑAEL KTE'OSIAA, il paraît difficile de traduire par Aujourd'hui, mon père ou ma mère est mort ou morte ; déjà qu'on a vivement reproché au héros de ne plus se rappeler si le décès avait bien eu lieu ce jour-là ou la veille ! Alors on a choisi ma mère est morte - mais le télégramme n'en disait pas davantage, et (comme le fait remarquer ce même personnage) Cela ne veut rien dire. Eh oui ! Traduttore, traditore !
Aux dix chiffres que nous connaissons s'ajoutent un signe pour C'est que les Babëlèques comptent en base duodécimale ; |
Dans le genre plutôt sérieux, un panneau (30) indiquerait une vitesse limitée à trente-six kilomètres à l'heure ; (90), à cent huit km/h — confusion dangereuse pour les Babëlèques amenées à conduire chez des Décimaux (c'est le terme employé à Babël pour désigner les étrangers).
Pour éviter toute confusion, les panneaux (routiers et ferroviaires) |
Il faudrait donc un hendécagone pour cent trente-deux km/h, pas vraiment facile à distinguer de l'ennéagone, qui impose vingt-quatre kilomètres à l'heure de moins ; dans les faits, comme on peut le voir ci-dessus, on s'arrête à l'octogone et ses nonante-six km/h ; il existe bien le panneau avec un cercle (permettant une grosse de km/h), mais il n'a jamais été utilisé nulle part. Pour dire la vérité (et pourquoi ne pas dire la vérité, quand personne ne vous a rien demandé et que tout le monde s'en moque éperdument ?), ni les routes ni les voies ferrées de Babël ne permettent de dépasser les cent kilomètres à l'heure, à moins d'être un adepte de la roulette russe, version cinq balles dans le barillet.
Dans un registre moins grave, une anecdote bien savoureuse : peu après sa sortie en France, les Babëlèques réclamèrent la programmation et la projection du film de François Truffaut, Les 400 coups ; il fallut donc créer une affiche. Pas trop de discussions pour babëlianiser le nom du réalisateur : comme n'existent en babëlien ni le son r, ni le son u, ni le son o , la transposition mécanique aurait donné une sorte de Tlufu assez incongru ; on l'appela donc LEBA ÑULI - Leba en référence à son acteur fétiche Jean-Pierre Léaud ; et Ñuli parce que c'est l'équivalent de François, tout comme ÑULU est l'équivalent de la France (à qui s'étonnerait de cet étrange Ñulu, les Babëlèques rétorquent qu'ils n'ont pas de leçons à recevoir de la part de gens qui appellent Allemagne le pays que ses propres habitants nomment Deutschland, et Esquimaux ceux qui se veulent Inuit ) ; accord rapide sur le nom du cinéaste, donc.
En revanche, une vive controverse s'éleva sur la traduction du titre, entre trois écoles :
restèrent donc en lice les deux autres groupes :
Douze fois hélas ! la querelle s'éternisa et le film fut projeté avant même que la question n'eût été tranchée ; l'affiche ne fut donc jamais collée sur le mur du cinéma de Babël.
— Mais dites-moi, le mur du cinéma, voilà deux singuliers plutôt singuliers, non ?
— Non. D'abord parce qu'il n'y a en effet qu'une salle de cinéma dans le Gouvernat ; je vous ai déjà dit que, culturétrangèrement parlant, le grand homme est J.-S. Bach ; or, pour autant que je sache, le Cantor de Leipzig n'a pas consacré l'essentiel de son génie à la musique de films ; en fait, si la traduction du titre intéressa les Babëlèques (qui sont de fines linguistes, d'où leur prédilection pour les langues de chat – dont la faible épaisseur fait tout le charme), le film lui-même n'attira pas les foules (d'autant moins, reconnaissons-le, que l'affiche qui aurait dû les faire venir ne brillait que par son absence) ; une salle est donc amplement suffisante pour satisfaire les ardeurs cinéphiles de Babël ; j'ajouterai que je connais des îles qui en feraient leurs choux gras, réduites qu'elles sont à une totale pénurie en la matière.
Quant au mur, rassurez-vous : cet unique cinéma a bien les quatre parois réglementaires ; mais d'un côté (ou, plutôt, de deux côtés : est et ouest), le Gouvernat a décidé (très sagement, à mon humble avis) que les affiches, affichettes, placards et autres panneaux publicitaires ne pourraient être placés que parallèlement à la voie publique - les réservant ainsi aux piétons ; du coup, plus de panneau 4 x 3 défigurant une perspective, plus de course au gigantisme (il faut bien que l'automobiliste évite d'avoir à trop s'approcher pour lire ou seulement voir ce qui y figure, non ?), plus de ces publicités peintes sur le pignon d'un immeuble, faisant réclame pour Dubo en bas, Dubon au milieu et Dubonnet en haut. Et le troisième côté ? à l'arrière (au nord), le cinéma donne sur une porcherie ; d'un commun accord, le gérant de la salle et le porcher-en-chef ont décidé que, tant qu'à gâcher de la marchandise, les cochons feraient meilleur usage de confiture que de culture cinématographique.
Comme leur originalité tient plus au système duodécimal qu'à leur syntaxe, il a paru préférable de les présenter dans cette partie Chiffres plutôt que dans la partie Lettres.
On ne trouvera évidemment pas ici la liste complète de ces adjectifs (ne serait-ce que parce qu'elle est infinie) ; seulement quelques exemples.
Ainsi peut-on entendre et lire, pour le duodécimal 294 (l'équivalent de notre décimal et polémique 400)
Principe général : on ajoute le suffixe -KE à une voyelle, -EK à une consonne ;
______ainsi, MAVEKE (sixième ) ou MATAMATEK (mégrossième ).
Une exception : premier se dit KUK ; il y avait jadis deux autres formes : ÑUÑ et 'U' ; des synonymes ? pas pour tout le monde, car les puristes tenaient à ce que l'on employât
• ÑUÑ | lorsqu'il y a un second (donc, selon eux, pas de troisième), |
• 'U' | lorsqu'il y a un deuxième (donc, toujours selon eux, un troisième, et plus si affinités), |
• KUK | dans les seuls cas où on s'arrête au premier (ce qui, il faut le reconnaître, limite un peu l'intérêt de la chose). |
Mais l'Académie babëlèque jugea la distinction oiseuse (d'autant plus que ÑUÑ et 'U', déjà peu gracieux au singulier, devenaient franchement imprononçables au pluriel ÑÜÑ et 'Ü') ; comme les avis des Éphémères (c'est le nom que se donnent les académiciens du Gouvernat) sont toujours écoutés et entendus, ÑUÑ et 'U' tombèrent en désuétude puis dans l'oubli, avant de finir leur course dans une poubelle de l'Histoire langagière babëlèque.
Il n'en subsiste plus qu'une trace, dans une vieille chanson dont le héros est ÑULI ÑUÑ – un certain François I er ; la nécessité du tautogramme aura fait loi : ÑULI ÑUÑ ÑUBAA ÑULU – François I er embellit la France ! ; selon certains historiens, il s'agirait de la traduction d'un texte italien dû à Léonard de Vinci lui-même ; Dan Brown y fait une allusion voilée dans Anges et Démons quand Leonardo Vetra (le double évident du Maître) assène : Pas de maths pour les filles ! .
Ils se forment avec un préfixe VE- : VETAMATEK = grossièmement (soit cent quarante-quatrièmement ; confondre avec grossièrement serait une grossière erreur).
Pour en finir avec ces drôles de numéraux, une particularité montrant bien à quel point le babëlien a le sens de la nuance :
Il y aurait évidemment bien d'autres choses à écrire sur une langue aussi riche et originale que le babëlien, mais la nuit babëlèque touche à sa fin. Alors, PTU SIKITA 'U TI'ESÜT - belle journée à vous toutes.
La partie précédente consacrée aux chiffres aura certainement suscité quelques interrogations quant au calendrier, qui en fait bien sûr grand usage. Voici donc quelques précisions à son propos.
Selon certains documents, le premier calendrier babëlèque était marqué par l'absolu duodécimal : douze mois composés de trois douzaines de jours chacun – donnant une année de quatre cent trente-deux jours. À droite, le calendrier des six premiers mois ; placer le curseur de la souris sur l'image pour afficher les six autres mois.___a a a |
Mais il ne fallut pas beaucoup plus d'une décennie avant que les agriculteurs ne se plaignent d'avoir à récolter durant le mois où, peu d'années auparavant, ils semaient ; le Gouvernat alla donc regarder comment les choses se passaient ailleurs, et décida de calquer son année sur celle que nous connaissons.
NB- par un de ces hasards dont l'Histoire est friande, il se trouvait que le MAKUK TIKUK (premier jour) de l'année suivante devait tomber le même jour que le 1er janvier du calendrier julien. Les Babëlèques sautèrent donc sur l'occasion pour caler quantième et mois sur ledit calendrier. Ah ! s'ils avaient pu faire preuve de la même unanimité pour le décompte des années… Mais à chaque paragraphe suffit sa peine.
Suivant une démarche qui accorde plus de place à l'arithmétique qu'à la poésie, les mois babëlèques ont toujours eu un nom dérivant de leur seule place dans le calendrier, préfixé par TI- :
TIKUK | janvier | ||
TIBIUKE | février | ||
TIFELAKE | mars | ||
[…] | […] | ||
TIBIUKE1LIKE | octobre | On notera que l'ancienne énonciation des nombres | |
TIKUK1LIKE | novembre | ___a été conservée dans les mois de juillet à novembre. | |
TILIKEK | décembre | Forme réduite substituée à TILIKEKE |
2) Les quantièmes | MAKUK | le premier du mois | |
MABIUKE | le 2 | ||
Le principe est le même que pour les mois | MAFELAKE | le 3 | |
en préfixant l'adjectif ordinal par MA- : | […] | […] | |
MAPESAKENLIKEBIU | le 28 | ||
MATIMAKENLIKEBIU | le 29 | ||
MAMAVEKENLIKEBIU | le 30 |
Dans le calendrier babëlèque absolu, les semaines étaient des périodes de douze jours ; mais ce fut au tour des scolaires de protester, et tous les syndicats leur emboîtèrent le pas pour exiger un jour de repos plus fréquent ; après des débats plutôt vifs (parfois houleux, mais jamais brutaux), on décida de retenir une semaine de six jours (une semaine hexémère ou sexadaire, en quelque sorte) ; et, pour rester dans leur logique, les Babëlèques, préfixant le nom de ces jours par FU-, adoptèrent_____FUKUK – FUBIUKE – FUFELAKE – FUPESAKE – FUTIMAKE – FUMAVEKE
Quelques observations :
Tout naturellement, les Babëlèques ont voulu dénombrer leurs années à partir de la fondation de leur Gouvernat. Malheureusement, les premiers Babëlèques, occupés à défricher et à construire, avaient eu d'autres soucis que la chronologie ; si bien que quand leurs descendants entreprirent de créer leur calendier, plus personne ne savait au juste depuis combien de temps tout ce beau monde existait. Le Gouvernat décida alors que Babël serait refondée en grande pompe six mois plus tard (le temps de préparer les festivités), et que ce jour serait donc FUKUK MAKUK TIKUK ''EKUK - les années étant préfixées par 'E - (qui devient ici ''E comme nous dirions le premier janvier de l'an 1 ).
Mais ce projet rencontra deux traverses :
Les Babëlèques étant têtues, chacune campa une fois encore sur ses positions, et finit par compter les années à sa guise. Si l'on ajoute que, quel que soit principe retenu, les années de quatre-cent trente-deux jours se mélangèrent aux années de 365,24219879 jours (merci, Wikipedia ), une panda géante n'y aurait pas retrouvé ses petits pandas - même géants. Il faudrait donc être inconscient pour essayer de donner une équivalence entre une année babëlèque et une année de chez nous. De toutes façons, de même que Babël n'existe que sur un disque dur, de même le temps de Babël n'existe que dans l'horloge d'un ordinateur - et encore, seulement quand celui-ci est allumé. Alors…
Les sections précédentes ont été l'occasion de découvrir quelques aspects des Babëlèques, aspects plus ou moins badins et en tous cas liés à leur vie profane. Il paraît temps de jeter un coup d'œil sur la religion à Babël - ou plutôt sur les religions, car les Babëlèques n'honorent pas moins de douze divinités. En d'autres lieux, ce serait sans doute l'occasion de disputes, de rivalités, voire d'affrontements (et pas seulement verbaux, hélas !) ; mais pas à Babël, qui a évité toute zizanie en décidant que chaque mois serait consacré à une divinité, et une seule.
NB- C'est à dessein qu'est employé ici (comme par la suite) le mot divinité, car le mot babëlèque KUT est aussi bien masculin que féminin (ou ni l'un ni l'autre, comme on voudra) ; le traduire autrement obligerait à choisir entre dieu et déesse - un choix qui ferait pouffer de rire les Babëlèques et s'étrangler d'indignation les Babëlèques - si la bienséance ne les conduisait à garder leurs réactions pour l'intimité de leur cœur.
Comme le gouvernat de Babël est aussi économe que sage, il a décidé qu'il y aurait un seul et unique lieu de culte, avec un seul et unique groupe de desservants, pour l'ensemble du Dodécathéon. Il s'agit d'un bâtiment que les Babëlèques désignent par l'expression 'A'ANIKU tTIFELTA - la maisonnette de la fraternité (ou de la sororité, bien sûr) - sans qu'on sache exactement si la communauté ainsi évoquée est celle des douze divinités, celle des Babëlèques ou celle des deux réunis.
Ce bâtiment est situé sur VAA tTISKAL – l'îlet de la Corne ; plusieurs érudits ont bien sûr proposé des explications pour ce nom (la corne d'abondance, celle du bouc-émissaire, une déformation de TIKSEL, qui signifie désert, ermitage ),
mais il est assez vite apparu que l'appellation était en fait bien antérieure à la construction du bâtiment, et que l'îlet en question avait la forme d'un grand cornet. Pour rester pratique, précisons que cet îlet de la Corne est relié à la station de métro ÑKA PESÄ (l'équivalent babëlèque de Châtelet-Les Halles ) par la ligne (a)4, qui continue ensuite jusqu'aux bâtiments de l'Université Maritime de KATÏ ''ALU (établissement mondialement connu pour tout ce qui touche à la recherche océanographique). L'extrait de plan ci-contre permettra de se repérer sans risque d'erreur a a a Placer le curseur de la souris sur l'image pour n'afficher que la ligne (a)4.Reproduction libre encouragée par TITELA 'IKUKE BABËLEK |
Là non plus, rien de somptuaire ! L'entretien du bâtiment et le déroulement des cérémonies sont assurés par un ménage (*) désigné pour l'année ; on choisit de préférence une famille avec des enfants, pour que ceux-ci puissent aider leurs parents et en même temps mettre un peu d'animation dans le saint édifice, tout en apprenant deux ou trois choses qui pourraient leur être utiles par la suite ; en fait, le plus gros travail se situe dans la nuit du dernier jour du mois (MAMAVEKE-N-LIKEBIU) au premier (MAKUK) du mois suivant, quand il faut enlever tous les objets de culte d'une divinité pour les remplacer par ceux de la suivante ; celles & ceux qui offrent des chambres d'hôtes comprendront l'effervescence qui peut régner durant cette demi-journée.
Il s'agit donc simplement de deux ou plusieurs personnes vivant habituellement sous le même toit.
Il faut bien reconnaître que nous devons aux Romains illogismes et frustrations : le grand Jupiter n'a droit qu'à un jour (le jeudi ) alors que son épouse Junon dispose de tout un mois (juin ) et que leur fils bénéficie à la fois d'un mois (mars ) et d'un jour (le mardi ) ; et que dire de Minerve, reléguée dans l'orthopédie ou d'Apollon, coincé entre concours de body-building et sites plus ou moins pornographiques). Ici encore, on ne peut qu'admirer la sagesse babëlèque : au lieu de nommer les mois d'après les divinités, ils ont nommé chaque divinité d'après le mois où elle est à l'honneur, en remplaçant simplement le préfixe TI- par KUT- :
Mois babëlèque | Nom de la divinité | Mois de notre calendrier | |
———————– | —– | ———————– | ———————– |
TIKUK | KUTKUK | janvier | |
TIBIUKE | KUTBIUKE | février | |
TIFELAKE | KUTFELAKE | mars | |
[…] | […] | […] |
TIBIUKE1LIKE | KUTBIUKE1LIKE | octobre | Rappelons que le 1 | |
TIKUK1LIKE | KUTKUK1LIKE | novembre | représente un L minuscule | |
TILIKEK | KUTLIKEK | décembre |
Les textes qui lui sont attribués sont rassemblés dans un ouvrage composé de six cent soixante-cinq volumes (certains dissidents en ajoutent un six cent soixante-sixième, mais la plupart des Babëlèques le tiennent pour apocryphe et sulfureux) ; il est évidemment impossible d'en donner ici la copie ni même le sommaire ou une simple liste ;
on se limitera donc à un extrait (cf. plus bas) et à la couverture, commune aux six cent soixante-cinq tomes a a NB- Les deuxième et troisième lignes (le titre de l'ouvrage) se traduisent sans embarras : KUNI'ALU TIKELUKE signifie clairement le Phare éternel ; la première ligne (qui indique l'auteur) est plus équivoque : KUTKUK kKÜT peut se comprendre comme Kutkuk, [du collège/faisant partie] des Divinités ; mais beaucoup ont fait remarquer qu'il y avait de l'espace entre KUT et KUK, si bien que l'on peut aussi lire : la Divinité première des Divinités. Cette ambiguïté n'est pas démentie par divers traits du culte kutkukéen. |
Si la couverture des volumes est en babëlien, les livres eux-mêmes sont rédigés en proto-voltaïque réformé, langue parlée il y a (très) longtemps entre (ce qui n'était pas encore) Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, et transcrite en prenant comme modèle de base les pelotes de réjection d'un martin-lutteur (une variété locale de notre martin-pêcheur). Comme, bien évidemment, personne à Babël ne sait lire le proto-voltaïque réformé, les adeptes les plus fidèles de Kutkuk ont profité de son mois (pendant de nombreuses années consécutives) pour essayer de traduire les paroles divines, à l'aide d'un instrument appelé TUTIM-BULIM, croisement entre un lecteur de code-barres et un rayon laser : en promenant ce dispositif sur le livre, on obtient une sorte de bruit, qui est ensuite interprété ; comme chacune avait sa propre interprétation, il a encore fallu des années pour arriver à un accord a minima sur un texte commun.
À titre d'exemple, voici le premier fil de la première pelote de la première lisse (ailleurs, on parlerait de verset, chapitre et livre ) Placer le curseur de la souris sur l'image pour afficher l'interprétation-révélation la plus récente, suivie d'une traduction (hiéronymienne, pour éviter toute polémique). | a a a |
Pour le reste, le culte de Kutkuk se caractérise par une abondance de statues et d'objets sacrés ; en plus des multiples volumes du KUNI'ALU TIKELUKE (qui occupent déjà pas mal de place), on trouve entre autres
Mais ce que les adeptes vénèrent plus que toute autre antiquité kutkukéenne est une trompette spiralée, d'environ un mètre et demi de diamètre. Placer le curseur de la souris sur l'image pour afficher l'instrument.Coïncidences : Charles-Joseph Panckoucke (*) évoque un objet de ce genre, à propos des buccinae des légions romaines ; mais d'une forme un peu différente ; en revanche Antoine Mongez (de l'Institut national et de plusieurs Sociétés savantes ) fait état d'un instrument très semblable (**) figurant sur un marbre étrusque (Mus. etrusc. I, tab. 6 & 178 ). |
Si les objets sont nombreux, les rites ne sont pas en reste :
Ce mois de Tikuk est attendu avec impatience par quelques SILIKË (nom par lequel se désignent les adeptes les plus zélées de Kutkuk), mais l'immense majorité des Babëlèques s'en tient au minimum syndical, les concerts de trompettes étant le seul moment où la Maisonnette fait plus ou moins le plein. D'ailleurs, nombre de Babëlèques soupçonnent Kutkuk de visées hégémoniques (ou, pour les plus simples, lui accordent le prix de mauvaise camaraderie).
Est-il nécessaire d'ajouter que, pour la famille desservante, ce mois pourrait porter le nom que les Bretons donnent à décembre : miz kerzu, le mois très noir ?
Les divinités se suivent mais ne se ressemblent pas ; Essayons de traduire… auteur et titre : Ñka de Kutbiuke ; mais ÑKA peut aussi bien marquer l'origine ___(message [de K.], directive donnée [par K.]) que la destination ___(en direction [de K.], pour se rapprocher [de K.]) l'intégralité du message kutbiukéen ; mot à mot : ne rendez surtout aucune chose malheureuse ; on pourrait penser à Ne fais de mal à personne, mais ce serait restreindre le sens de TLA, qui désigne aussi bien les animaux et les objets que les êtres humains. | aaa aaa aaa |
Faut-il s'en étonner ? Tibiuke est le mois préféré des enfants, et celui qui voit la plupart des querelles s'apaiser.
C'est aussi un mois de répit pour la famille desservante ; en effet, ce culte
La suite quelque jour peut-être, KUTLÜ LEKALIÑ.