♣_______Page mise à jour le 6 janvier 2018 vers 03h20 TUC |
[Old] Market Square forme une sorte de patte d'oie, intermédiaire entre un Y et un T ;
Pour avoir une idée, avec GoogleStreet , de ce qu'est aujourd'hui Market Square :
Mais à l'époque de Lovecraft, l'endroit méritait un peu mieux le nom de place ; comme le montre le schéma ci-dessous,
On peut donc noter au passage que le demi-tour effectué par l'autocar serait aujourd'hui doublemement impossible. Pour le reste, ce trajet semble ne pas prêter à discussion. On a alors trois endroits où l'autocar pourrait s'arrêter (et, par conséquent, le narrateur se tenir) :
M = Merrimac St S = State St W = Water St —— = trajet de l'autocar —— = zones d'arrêt envisageables 1) On peut assez rapidement éliminer (B) : d'une part, le véhicule bloquerait une bonne partie de la circulation sur la place ; de l'autre, le narrateur observe, quelques minutes avant l'arrivée prévue du car, un recul général des flâneurs qui remontaient la rue ou traversaient la place jusqu'au restaurant Ideal Lunch. Si l'autocar s'arrêtait en (B), les flâneurs n'auraient aucune raison de remonter State St, puisque tout se passerait sur le trottoir opposé de Merrimac et Water St. |
Bien sûr, il n'y a aucune trace de pharmacie Hammond à Market Square (ni ailleurs dans Newburyport), et aujourd'hui, la pharmacie la plus proche est beaucoup plus loin vers l'ouest, dans Merrimac St. Mais certains documents municipaux gardent le souvenir d'une pharmacie un peu au sud de (A).
L'essentiel du problème tient dans les trois mots made a turn (prit le tournant ). Cette expression paraît difficilement compatible avec un arrêt en (A) ; il faudrait en effet que le narrateur attende à l'extrême nord de (A), pour que l'autocar puisse avoir entamé son virage vers la droite (avant de faire le tour du rond-point par la gauche) ; mais alors, ce même narrateur ne pourrait pas voir ce qui se passe dans State St (la remontée des flâneurs, l'arrivée du car puis les trois voyageurs d'Innsmouth).
Un point partout, donc... On pourrait bien essayer de concilier les deux en considérant que front of (en face de ) désigne en fait le trottoir d'en face - autrement dit, que la pharmacie est en (A) alors que l'autocar s'arrête en (C) ; mais il serait surprenant que l'employé n'ait pas précisé ce détail au narrateur, ou que celui-ci n'en ait pas parlé - d'autant plus que le conducteur du car profite de l'arrêt pour aller faire des achats à la pharmacie, et que rien n'indique qu'il ait dû traverser deux fois State St.
Dans cette incertitude, le choix a été guidé par la technique ; du point de vue de MSTS, le choix de (C) présente deux avantages :
Pour qui voudra juger sur pièces, voici d'abord quatre liens :
La littérature française connaît aussi des villes images/imaginaires : Plassans chez Zola, Combray chez Proust, Bouville chez Sartre ; mais la localisation de ces villes ne fait pas problème lors de la lecture du texte où elles sont mentionnées : si l'on admet que Bouville s'inspire du Havre, on peut lire La Nausée en remplaçant Bouville par Le Havre ou à l'inverse imaginer Bouville à la place du Havre, sans que cela intervienne dans la logique du roman. Du point de vue qui nous occupe ici, la particularité du Cauchemar d'Innsmouth est de rendre inadéquate toute clé de lecture de ce type (et les discussions sur sa localisation en sont bien l'illustration).
En effet, dans une lettre à Fritz Leiber du 9 Novembre 1936 (citée par D. Harms), Lovecraft écrit ce qui peut se traduire par
Grosso modo, "innsmouth" (une exagération de la pittoresque et décatie Newburyport) est censé être sur la côte marécageuse un peu au sud de la vraie Newburyport.
Autrement dit, Innsmouth est Newburyport (Lovecraft le répète à plusieurs de ses correspondants) sans être à Newburyport. Cette apparente aporie (on en trouvera une autre plus loin) a dérouté certains commentateurs, par exemple Will Murray qui écrit ("in search of arkham country", Lovecraft Studies, n°13, p. 55 - cité également par D. Harms) :
Si Innsmouth était vraiment et simplement un Newburyport déguisé, alors le narrateur de cette histoire ne pouvait pas monter dans un autobus à Newburyport se rendre au sud à Innsmouth.
Il faut donc distinguer et traiter (merci, Descartes) deux questions différentes, comme le fait l'auteur du site Innsmouthmania dans le titre de sa page :
_______Où se trouve Innsmouth et quelle ville inspira sa création ?
On suivra ici son exemple, en inversant seulement l'ordre des deux quesions :
La réponse semble claire ; comme on l'a déjà vu, plusieurs lettres de Lovecraft répètent que Newburyport est le modèle principal d'Innsmouth. Un seul autre exemple :
"innsmouth" est une version considérablement tordue de Newburyport, MA
(lettre à Emil Petaja en date du 29 Décembre 1934)
Enfonçons deux portes ouvertes - mais auxquelles certains intervenants paraissent s'être heurtés :
• Innsmouth n'est pas un clone de Newburyport ; il suffit de regarder une carte pour constater que
Il est donc évident que Lovecraft n'a pas fait d'Innsmouth une copie de Newburyport mais un peu le genre d'image que renvoie un miroir déformant. Il y a d'ailleurs un fait intéressant à observer : si le narrateur marche beaucoup dans Newburyport en ce 14 juillet, ses déplacements (ceux qu'on lui voit faire et ceux qu'il rapporte) se font dans un périmètre restreint : la gare de Washington St au sud-ouest, Old Market Square au nord-est ; or ce dernier lieu n'est qu'à quelques pâtés de maisons du Merrimac et des quais – lieu d'attraction naturelle pour un jeune homme curieux de tout comme lui, mais où il ne se rend jamais dans le premier chapitre ; on peut raisonnablement penser que l'auteur a volontairement tenu son personnage à l'écart de plusieurs lieux réels de Newburyport pour pouvoir mieux les replacer (exagérés ou considérablement tordus ) dans ses descriptions d'Innsmouth.
En d'autres termes,
Là encore, le problème peut paraître simple, puisque la lettre à Fritz Leiber (déjà citée) place Innsmouth
[…] sur la côte marécageuse un peu au sud de la vraie Newburyport.
Il suffit donc de trouver le point I de cette côte entre la latitude de Rowley et celle de Manchester. Afin de ne pas allonger inconsidérément cette page, on se limitera aux deux localisations les plus communément défendues :
Alors, Ipswich ou Gloucester ? Pour mieux cerner la question, voici à nouveau un extrait de la carte de Hoodinski, mais sans Innsmouth a a a Le problème débouche sur une (nouvelle) aporie : certains passages du texte interdisent de placer Innsmouth dans la région de Gloucester (Ipswich seul étant alors compatible) alors que d'autres interdisent de placer Innsmouth dans la région d'Ipswich (seuls restant compatibles Gloucester ou Rockport). En effet... |
On voit qu'une ligne d'autocar Arkham-Gloucester-Newburyport pourrait presque rivaliser avec le 22 à Asnières ; pour aller de Newburyport à Gloucester, la route la plus simple et la plus directe est la route (réelle) passant par Rowley, Ipswich et Essex (toutes localités existantes – c'est d'ailleurs pour l'essentiel le chemin suivi par T. Jantsang : routes 1A puis 133 et 127) ; mais c'est incompatible avec la page 416 où, peu après le pont sur la Parker,
bientôt nous nous rapprochâmes beaucoup de la grève tandis que notre chemin étroit s'éloignait de la grand-route qui menait à Rowley et Ipswich
– qui oblige à considérer que l'autocar quitte la grand-route (l'A1) avant Rowley ; incompatible aussi avec la suite où le narrateur n'aurait pas manqué de faire état d'un éventuel arrêt à Ipswich ou Essex.
Dans la carte ci-contre, le trait orange figure ce qui aurait été le tracé de l'ancienne bretelle – dont l'employé de la gare de Newburyport dit qu'il était encore emprunté à pied pour aller prendre le train à Rowley, avant la mise en service de l'autocar. Mais le plus farce serait le retour du narrateur : il aurait fait à son tour la vingtaine de kilomètres séparant Gloucester de Rowley pour aller prendre le train, mais un train le menant à Arkham (c'est le tracé en vert), alors que, de Gloucester à Arkham, il n'y a qu'une quinzaine de kilomètres assurés par une ligne en service (réelle, de Rockport à Beverly, puis imaginaire mais sérieuse, de Manchester à Arkham). C'est d'ailleurs une constatation plus globale : si Innsmouth se trouvait dans Cape Ann (la région qui s'étend d'Arkham à Rockport), ses liaisons naturelles se feraient avec Beverly, Essex et Hamilton (Bolton, dans le monde de Lovecraft), pas avec Ipswich, Rowley et Newburyport, nettement plus éloignés au nord ! e dans le récit même du narrateur qui, de sa fenêtre de l'hôtel Gilman, s'inquiète de la route du sud en direction d'Arkham. Comme on peut le voir, Arkham n'est pas vraiment au sud de Gloucester, et une route qui quitterait cette dernière ville vers le sud cherrait rapidement dans l'océan. |
Par contre, T. Jantsang mentionne un tel accident de terrain entre Gloucester et Rockport.
Ultime paradoxe de l'affaire : pour démêler l'écheveau initial de la localisation d'Innsmouth, il a fallu distinguer Innsmouth, c'est quoi ? de Innsmouth, c'est où ? ; mais ç'aura été pour constater à l'arrivée que, pour Lovecraft, les deux questions obtenaient la même sorte de réponse : si la ville est tantôt ceci, tantôt cela, elle est aussi tantôt ici, tantôt là.
Malheureusement, ce don d'ubiquité donné à l'écrivain et à son texte ne peut pas être partagé par qui dresse une carte ou crée une ligne dans MSTS , placée dans l'obligation de choisir. J'ai donc opté pour Ipswich et plus précisément la zone de Clark Pond, à la fois par conviction (elle m'est apparue comme la dernière pièce d'un puzzle) et par économie (Newburyport aa Innsmouth aa Rowley, c'est une vingtaine de kilomètres dans un cas, le triple dans l'autre - kilomètres à décorer (pour qui crée) et à parcourir (en grande partie à pied, pour qui joue).
Le plan de la ville semble avoir été l'objet de moins de discussions que son origine ou sa localisation. Il n'en contient pas moins divers points dignes d'intérêt. On trouvera dans cette page du site Innsmouthmania [⇒] l'essentiel des plans et cartes de la ville. Avec l'auteur du site, on peut tenir le plan de Joseph Morales pour le plus proche du texte de Lovecraft ; c'est donc autour de lui et des différences de certains autres avec lui que s'articule cette annexe.
NB- par simple commodité de langage, on parlera ici de plan pour le document de Morales, de cartes pour les autres.
Cette localisation donne à la ville un aspect caractéristique, et fait correspondre la baie avec Clark Pond, près d'Ipswich ; malheureusement, elle contredit le texte de Lovecraft, qui place le port sur la côte au sud du Manuxet (la côte nord se prolongeant par une sorte de lagune qui dévie le cours du fleuve vers le sud).
Très logiquement, ce sont ceux que le narrateur emprunte (à l'exception évidente de Fish St). Qu'en est-il des autres voies nord-sud ? Le plan de Morales indique un pont pour chacune - soit dix ponts en tout ; on peut penser que c'est beaucoup pour une petite ville ; les autres cartes en contiennent de quatre à huit. Mais on ne peut guère procéder que par « la logique voudrait que... ».
Par souci d'économie et de rigueur, Dagon s'en tient donc aux six ponts du texte.
Morales la place au sud de Bank St, la voie ferrée croisant la rue juste après ; mais le croquis dessiné par Lovecraft la situe entre Bank St et le fleuve ;
Étrangement (mais ceci explique peut-être la remarque initiale de cette annexe), si Lovecraft joue avec le fantastique pour la localisation d'Innsmouth, les déambulations du narrateur dans la ville semblent obéir à une logique sans faille. Seules quelques échappées sur la mer peuvent surprendre ; par exemple, quand le narrateur sort de l'hôtel Gilman : J'apercevais vers l'est le bleu du port – alors qu'il a en face de lui les magasins de la place avec, derrière eux, Fall St, Main St, Fish St, Water St plus les terrains vagues dans lesquels il écoutera Zadok – avant d'arriver enfin aux quais.
Cette (brève) annexe est consacrée à l'approche d'Innsmouth (pages 417 et 418 de l'édition Bouquins ), depuis le moment où le narrateur, arrivé au sommet de la montagne, découvre la vallée et l'embouchure du Manuxet, jusqu'à son passage à New Church Green. Il est clair que cette approche est composée de deux parties, dont on peut faire ainsi le plan (au sens littéraire aussi bien que topographique du terme) : A) le panorama |
Même si l'autobus avance sur son chemin pentu, le mouvement de la description est celui du regard du narrateur, qui peut se décomposer ainsi :
q le regard se porte à l'horizon brumeux ;
w il revient sur Innsmouth et, notamment, les clochers (ceux de Church Street, certainement) ;
e il se porte vers l'ouest jusqu'à la ligne de chemin de fer abandonnée ;
r il balaie à nouveau Innsmouth d'ouest en est, pour aller jusqu'au récif du Diable.
Le principe de la description t est totalement différent de ce qui précède : ici, le narrateur détaille ce qui se présente à ses yeux au fur et à mesure que le car progresse (d'abord des fermes, puis des maisons éparses, ensuite par blocs, précédant des ruelles non pavées et, enfin, quelques rues pavées garnies de trottoirs).
Cette organisation permet à Lovecraft de donner deux descriptions successives de la ville, d'un œil unique (celui du narrateur) mais sous deux angles (théoriquement) différents. Pourtant, une lecture plus critique (toujours au sens littéraire du mot, bien sûr), ou bien la nécessité d'adapter ces deux pages dans MSTS, font apparaître des éléments étranges :
a) la remarque est sans doute mesquine, mais il faut rappeler que le narrateur, fuyant le conducteur, est allé s'asseoir loin derrière lui, bien que du même côté ; comme l'autobus de Joe Sargent n'a rien d'un autocar panoramique, on peut s'interroger sur ce que le narrateur peut voir en pratique du paysage au-delà du véhicule.
Dans l'adaptation (où les vitres ont été élargies au maximum), on obtient ceci___a a a Comme on peut le constater dans la vue précédente, il faut passer en vue extérieure pour obtenir une copie d'écran qui se rapproche du texte. |
Dans ces conditions, il n'y a plus guère de place pour la deuxième description (surtout en temps réel : sa lecture demande environs une minute et demie, soit un kilomètre pour un véhicule roulant à 40 km/h). Ou alors il faut placer ces bâtiments sur le flanc de la montagne, ce qui est en opposition avec
___je vis des individus […] chercher des clams sur la plage qui empestait le poisson
Pour pouvoir intégrer cette seconde description, il faut un terrain de ce genre______a a a Mais alors, la « découverte d'Innsmouth » ne tient plus. Placer le cuseur sur l'image pour afficher cette autre vue ________________________________________a a a |
En fait, on a l'impression que Lovecraft utilise dans ces deux pages le même procédé que pour la localisation d'Innsmouth (du côté de Rowley et Ipswich quand ça l'arrange, entre Rockport et Gloucester si c'est mieux) : le col est tout près d'Innsmouth à la page 417, et recule de deux kilomètres pour la page 418. Magie de la littérature.
Mais aussi juste retour des choses pour celui qui a prêté sa plume à Harry Houdini…
Si vous n'avez pas encore lu Le Cauchemar d'Innsmouth (à tout péché miséricorde !) et que vous souhaitiez conserver intacte la découverte des dernières pages, mieux vaut différer la lecture de cette annexe ; mais pour tous les autres cas, voici quelques précisions.
Ce que nous savons en la matière provient de deux sources :
a) bien sûr, le texte de la nouvelle ; en effet, l'agent de la gare, le garçon de l'épicerie puis Zadok Allen et enfin le narrateur lui-même donnent (directement ou indirectement) diverses informations sur sa famille ;
b) mais on peut aussi trouver, dans les pages 1029 à 1042 de l'édition Bouquins, traduits par Philippe Gindre, divers écrits de Lovecraft ayant servi à la préparation de la nouvelle ; figurent notamment aux pages 1033 et 1034 des notes sur certains personnages, et même une esquisse d'arbre généalogique (1).
Comme on pouvait s'y attendre, ces notes posent autant de questions qu'elles en résolvent.
Ⓐ D'abord du fait de leur caractère même de brouillons sujets aux inexactitudes ; ainsi, le capitaine est donné comme né en 1790 à la page 1033, mais en 1798 à la page 1034 ; Alice Marsh, née en 1847 du second mariage d'Obed (avec Pth'thya-l'yi) est présentée comme Fille du fils du capitaine Marsh.
Parfois, il est difficile de déterminer s'il s'agit d'une erreur due au manque d'attention ou bien d'une présentation dont on aurait manqué la logique : dans l'esquisse d'arbre généalogique, il semble qu'Onésiphore (Onesiphorous dans le texte), fils aîné d'Obed (et père de Barnabas, le vieux Marsh de la nouvelle) ait un fils nommé Dagon Marsh, dont le nom est précédé de la mention b. 18. Difficulté d'interprétation d'autant plus grande qu'il n'a pas été possible de trouver le texte original de ces notes (on peut se demander, par exemple, si le b. figure dans le manuscrit, et pourrait alors être l'initiale de born ou buried , ou si c'est la traduction d'une autre initiale – mais laquelle ?).
Un cas particulièrement étrange est celui d'Alice Marsh. Dans la nouvelle, il est précisé à son propos
[…] après sa mort prématurée, qui survint à la naissance de ma grand-mère, son unique enfant.
Alice Marsh (devenue Mme Orne) n'a donc qu'un enfant : sa fille Eliza, grand-mère maternelle du narrateur, née en 1867 selon la nouvelle ; cette situation correspond à ce que l'on trouve dans certains passages des notes, comme à la page 1034 : Grand-mère - fille unique // d'Alice Marsh - Eliza Orne // 1864-1914 // disparue
Mais à la page précédente, outre que les dates sont 1869-1919, après Grand-mère. Fille unique, on trouve :
(John Marsh Orne, né en 1870 […] Charles Peckman Orne, né en 1873 […] Rebecca Orne, née en 1875 […])
Faut-il comprendre que ce sont les enfants d'un remariage de Benjamin Orne (prénommé Joshua dans les notes) après la mort d'Alice en 1867 (ou 1864 ou 1869) ? Mais ce remariage n'est mentionné nulle part (contrairement à ceux d'Obed Marsh puis de James Williamson) ; de plus, pour chacun des trois autres enfants Orne, les notes précisent mort par suicide,[…] disparu,[…] deux enfants étranges - toutes anomalies dépourvues de sens si ce sont les enfants de deux humains banals .
Ⓑ Ensuite parce que Lovecraft a parfois visiblement changé d'avis entre les notes et le texte définitif. Par exemple, le narrateur a deux oncles maternels, Douglas et Walter ;Pour éviter toute contradiction, le tableau ci-dessous suit donc les indications de la nouvelle, en les complétant par les notes quand celles-ci n'entrent pas en conflit avec le texte imprimé.
La disposition de cet arbre n'est pas la plus habituelle :
a) le temps est à l'horizontale, chaque colonne du tableau représentant une génération ;
b) il se lit de gauche à droite.
En complément de ce tableau, voici une carte du nord-est des Etats-Unis (3) - équivalent géographique de l'arbre chronologique ; en effet, c'est par les femmes que le narrateur se rattache au capitaine, d'où un changement de nom de famille et de lieu de résidence à chaque génération :
On ne peut que remarquer l'équilibre entre les deux premiers lieux (imaginaires, dans le Massachusetts) et les deux derniers (réels, dans l'Ohio) ; le schéma global enserre ces trois femmes entre les deux héros que sont Obed Marsh et le narrateur. |
Les Gilman sont initialement l'une des familles les plus puissantes d'Innsmouth, partageant le commerce maritime avec les Marsh et disposant, en plus, du principal (et sans doute unique) hôtel de la ville. Mais l'alliance d'Obed Marsh avec les Canaques et les Choses des Profondeurs coïncide avec leur déclin : perte de leur flotte et décrépitude de l'hôtel.
Ce bâtiment est situé sur le côté ouest de la Grand Place (Town Square ), au coin de Paine Street :
On peut trouver à cette adresse [⇒] des illustrations de bâtiments virtuels en 3d créés par Meshbox pour représenter Innsmouth, et notamment cet hôtel. Bien sûr, on a un peu de mal à imaginer les couloirs poussiéreux et la peinture écaillée, mais l'édifice en impose. Deux remarques cependant, par rapport au texte (en dehors du nombre d'étages, dont il sera question plus bas) :
|
Ce qui est sûr : elle est située à l'arrière de l'hôtel, ses deux fenêtres s'ouvrent vers l'ouest ; elle est à peu près en milieu de façade (voir le schéma ci-dessus) ; dans sa fuite, le narrateur passe dans une première chambre puis une seconde, dont il doit fermer la porte de communication avec une troisième ; ce qui suppose quatre chambres contiguës du centre au nord ; il n'est pas impossible qu'il y en ait une de moins vers le sud - mais c'est donc au moins six chambres d'affilée.
Ce qui l'est moins : à quel étage ?
Comme souvent, les choses semblent limpides au départ, quand le narrateur déclare
I […] followed that sour, solitary attendant up three creaking flights of stairs
ce que J. Papy et S. Lamblin traduisent par
je […] suivis ce serviteur revêche et solitaire pour monter trois étages de marches grinçantes
Puisque nous étions au rez-de-chaussée, monter trois étages fait aboutir à ce que nous appelons communément le troisième étage. Mais, quelques pages plus loin, le narrateur, envisageant de s'enfuir, se penche par la fenêtre de sa chambre et dit :
I saw that my windows commanded only a sheer three story drop to the cobbled courtyard. On the right and left, however, some ancient brick business blocks abutted on the hotel; their slant roofs coming up to a reasonable jumping distance from my fourth-story level.
ce qui est traduit par
Je découvris que mes fenêtres ne donnaient que sur un à-pic de trois étages jusqu'à la cour pavée. À droite et à gauche cependant d'anciens bâtiments industriels en brique étaient contigus à l'hôtel ; leurs toits en pente montaient à une distance raisonnable qui permettait d'y sauter de mon quatrième étage.
(c'est moi qui ai souligné les deux expressions dans chaque version)
Si la première expression soulignée confirme la situation initiale, la seconde est plus ambiguë ; en effet, on sait que fourth floor désigne habituellement, aux États-Unis, notre troisième étage (le rez-de-chaussée étant appelé first floor ou ground floor ) ; mais ici, Lovecraft utilise le terme anglais (de Grande-Bretagne, où le compte se fait comme ailleurs en Europe) : story, et il serait surprenant que les traducteurs aient laissé passer cette inexactitude. À cela s'ajoute un croquis de la main de l'auteur (reproduit en bas à droite de la page 1034 dans l'édition Bouquins ), où la chambre est placée au niveau 4, alors que le niveau 1 de l'hôtel semble nettement plus haut que le rez-de-chaussée, si on le compare à l'atelier attenant.
Pour des raisons faciles à comprendre, Dagon s'en tient aux trois étages - ce qui fait que l'hôtel a quatre étages en tout (contrairement à celui de Meshbox, qui a droit à un cinquième).
Il ne s'agit pas de tenter une étude de la place de la femme dans Le Cauchemar d'Innsmouth mais seulement de faire état de deux observations issues de la lecture (ou, plutôt, des lectures) de la nouvelle.
Tous les personnages principaux (le narrateur, l'agent de la gare, Joe Sargent, le vendeur de l'épicerie, Zadok Allen) sont masculins. Seules exceptions : parmi les personnages secondaires, Miss Tilton (la conservatrice de la Société historique de Newburyport, qui a droit à une page et demie, au discours indirect - voir l'Annexe IX ) et, simple figurante, la fille au nez plat et aux mains incroyablement épaisses et maladroites servant dans le restaurant d'Innsmouth (qui a droit à six lignes – encore doit-elle les partager avec son collègue masculin, guère mieux loti qu'elle, d'ailleurs).
Prenons la place de James Williamson, le grand-père maternel du narrateur :
On notera qu'à l'opposé de cette hécatombe des épouses et mères, Douglas Williamson est le seul homme de la famille à avoir quitté ce monde prématurément.
Comme pour l'annexe précédente, aucune prétention à l'exhaustivité, mais, à nouveau, quelques constats de lecture.
Si l'on prend le mot dialogue dans son sens le plus large (que le Petit Robert définit comme Entretien entre deux personnes , (que l'on pourrait reformuler ici en propos adressés au narrateur par un autre personnage et rapportés par celui-ci ), on trouve neuf passages (sauf omission ; j'avoue n'avoir pas relu la nouvelle spécialement pour ce relevé) :
d | Personnage | Pages | NbP | |
————————————————————–—————————— | ||||
D | L'agent de la gare | 407-411 | 4 | |
I | Miss Tilton | 413-414 | 1 | |
I | Le vendeur de l'épicerie | 420-423 | 3 | |
D | Zadok Allen | 428-438 | 9 | |
L | Joe Sargent | 440 | 0 | ,2 |
I | Le gardien de l'hôtel | 440 | 0 | ,1 |
I | Mr Peabody | 456-457 | 0 | ,5 |
I | Walter Williamson | 458-459 | 0 | ,3 |
L | Eliza Orne | 460 | 0 | ,2 |
Mais si l'on prend le terme au sens technique (et étymologique) d'Ensemble des paroles qu' échangent les personnages , il faut admettre qu'il n'y a quasiment aucun dialogue dans Le Cauchemar d'Innsmouth . En effet,
Dans Dagon, il a fallu ajouter quelques mots de remerciements pour masquer ce vide.
b} Zadok, lui, se montre explicitement sensible au mutisme du narrateur : Hé, vous, pourquoi qu'vous disez rien ?
On n'entendra donc jamais la voix du narrateur en tant que personnage, de même qu'on ne trouve nulle part dans la nouvelle son identité.
Rien ici pour l'Album de la Comtesse ; cette annexe est née de l'interrogation suscitée par une phrase du narrateur quand il découvre (et décrit) le panorama d'Innsmouth vu du haut de la montagne qu'il vient de traverser :
Le délabrement était pire près des quais, mais en leur centre même, j'aperçus le blanc campanile d'un bâtiment de brique assez bien conservé qui ressemblait à une petite usine.
Nous reviendrons plus bas sur cette interrogation, mais cette phrase conduit déjà à constater que si, le plus souvent, quai/quais traduit wharf/wharves, ici, il correspond à waterfront – qui est lui-même traduit ailleurs par front de mer ou bien port.
Voici comment se répartissent les occurrences de quai et de son champ lexical, dans la traduction et dans le texte :
A = nombre d'occurrences B = idem en distinguant singulier et pluriel C = terme considéré D = lien et nombre d'occurrences de ce lien * à la page 410, off Innsmouth Harbour est traduit ___par au large d'Innsmouth. ° le passage du singulier au pluriel est d'ordre quasiment grammatical : in some heathen port est traduit par dans un de ces ports de païens. |
On peut donc observer que la traduction s'est accompagnée d'une sorte de concentration du lexique :
Pour revenir à la phrase introduisant cette annexe, Lovecraft y utilise le mot waterfront — mais cela ne change pas le fond de la question : de quels quais (de quel waterfront ) s'agit-il ? Car, comme dans toute ville située à l'embouchure d'un fleuve, on peut avoir un port fluvial et/ou un port maritime ; or l'usine Marsh est située sur les bords du Manuxet, et l'ombre de Newburyport qui plane sur Innsmouth renvoie bien sûr aux quais du Merrimack ; mais l'auteur parle d'une rivière très encaissée, et surtout coupée (à l'intérieur même d'Innsmouth) par quatre chutes d'eau, dont la plus en aval se situe justement en face de l'usine Marsh. Il ne peut donc y avoir aucune navigation sur le fleuve, et s'il y avait des quais surplombant l'abîme à une hauteur vertigineuse, ils ne pourraient servir qu'à des promenades, peu de mise dans cette sombre cité. Cependant, les quais dont il est question ici ne peuvent pas non plus être ceux du port ; celui-ci se trouve, rappelons-le, sur l'Atlantique au sud du fleuve et, même avec une forte parallaxe, le campanile de l'usine reste nettement en dehors.
Découvrant le panorama d'Innsmouth du haut de la montagne, le narrateur décrit :
Du fouillis des cheminées montait à peine un filet de fumée, et les trois grands clochers se dressaient, austères et dépouillés, sur l'horizon du côté de la mer. L'un d'eux perdait son faîte par morceaux, et, ainsi qu'un autre, il exhibait des trous noirs béants là où avaient été des cadrans d'horloge.
De quels clochers s'agit-il ? On pense bien sûr d'abord à ceux de New Church Green. Mais il ne sera jamais question que de deux édifices : l'église congrégationaliste et l'église baptiste. Et, quand l'autobus passe près d'elles, l'une est décrite comme une église de pierre au clocher trapu.
Il y a bien encore les églises situées plus à l'est sur Church Street, mais elles aussi vont par paire – et sont nettement à l'ouest. Restent alors les églises au sud de Main Street, dont le narrateur dit, quand il ressort de l'hôtel Gilman après y avoir déposé sa valise :
J'apercevais à l'est le bleu du port, sur lequel se détachaient les ruines de trois clochers géorgiens, superbes en leur temps.
Mais là n'est pas la principale difficulté d'interprétation du texte.
En effet, comme on l'a déjà observé dans l'Annexe V , pour avoir une vue sur les quais et le port, il faut que le narrateur domine nettement la ville, et cela, d'un point situé à peu près sur son axe nord-sud. Dans ce cas, comment des clochers peuvent-ils se dresser […] sur l'horizon du côté de la mer (loomed […] against the seaward horizon, dans le texte original) ? Les quatre églises de Church Street et les trois de Main Street sont repérées par des obélisques rouges ; on peut voir qu'aucun ne se profile sur un horizon marin___a a a Pour cela, il faudrait arriver de Rowley, par l'ouest et les marécages. Placer le curseur sur l'image pour afficher cette autre vue___a a aMais ce serait en contradiction avec tout le reste. |
Reste alors une possibilité (plutôt séduisante puisqu'elle amène à compléter la carte d'Innsmouth) : peut-être s'agit-il de trois autres églises situées dans le nord-est___a a a Heureuse occasion d'enrichir le décor de ce quartier. Placer le curseur de la souris sur l'image_____pour afficher cette autre vue___a a a |
(*) Ce peut être l'occasion de faire le bilan des déplacements du narrateur dans Innsmouth, en les reportant sur la carte établie par Joseph Morales. NB-
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